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port, mais huit ou dix. Peu après, à la suite des appréciations trop bienveillantes d’un correspondant anglais, sur notre arsenal de Toulon qu’il avait visité, la presse de Londres entama la publication d’une série d’articles, destinés à démontrer que la marine britannique était insuffisante pour la défense du commerce et des colonies de la nation, en raison des progrès accomplis par certaines marines étrangères.

Le principe qui doit guider l’amirauté anglaise, disait il y a cinq ans lord George Hamilton, en demandant à la Chambre de voter le Naval Defence Act, qui expire à la fin du mois de mars prochain et a comporté une dépense de 537 millions de francs, c’est que « les forces navales du Royaume-Uni doivent être équivalentes à celles des deux plus puissantes flottes étrangères réunies ». Cette proportion du double, M. Charles Beresford la jugeait récemment insuffisante. L’Angleterre, disait-il, doit avoir une flotte « plus forte d’un tiers » que celles de la Russie et de la France combinées. D’autres enchérissaient encore, et déclaraient que la Grande-Bretagne « devait être non seulement puissante, mais toute-puis sante sur mer ». Ils faisaient remarquer qu’en cas de guerre avec une grande nation, une défaite navale, qui pour cette nation serait un malheur, deviendrait pour l’Angleterre la destruction finale. Ils concluaient que, dût-on sacrifier 100 millions de livres sterling pour assurer l’efficacité absolue de la marine britannique, on ne devait pas regarder à la dépense.

De fait, ce chiffre prodigieux de 2 milliards 500 millions de francs n’était là, heureusement pour les sujets de la reine Victoria, que comme une formule oratoire. C’est de 500 à 600 millions de francs que les plus larges calculateurs disent avoir besoin pour atteindre leur but. Ainsi, ce printemps, c’était l’Allemagne qui luttait d’émulation avec nous, pour les effectifs de l’armée de terre ; cet hiver, c’est l’Angleterre qui a peur de perdre son écrasante supériorité sous le rapport des effectifs maritimes.

Quelle est donc l’importance des flottes russe et française, de la nôtre en particulier, puisque c’est elle qui doit servir d’étiage à nos voisins, pour mesurer ce qu’ils jugent nécessaire à leur sécurité ? La méthode appliquée pour ces sortes de campagnes est bien connue ; elle est usitée partout. On prend les listes des flottes, on enrichit l’adversaire, on compte à son actif les navires démodés, sans valeur militaire et ceux qui sont encore en chantiers ; on les ajoute aux flottes armées et en réserve et l’on obtient ainsi un total imposant. Pour soi, l’on fait le contraire ; l’on ne compte que les navires en plein et parfait service, et, par un calcul élémentaire, on prouve ainsi que le rival est très fort et qu’on est soi-même absolument désarmé.

Par exemple l’escadre russe de la Méditerranée se compose bien de cinq navires ; mais ces cinq navires ne possèdent ensemble que 26 000 tonnes de déplacement, c’est-à-dire moins que deux cuirassés