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avaient également le droit, devant la persistance mise par le suffrage universel à se prononcer en faveur de la République, d’adhérer enfin à cette forme de gouvernement, sans même avoir besoin d’y être incités par le conseil d’un pontife qui, pour ne jouir en cette matière que d’une autorité humaine, n’en a pas moins quelque titre à être écouté des catholiques. Les conservateurs n’étaient pas forcés de combattre toujours par ce seul fait qu’ils avaient combattu longtemps, et notre histoire est pleine d’hommes qui ont servi avec dévouement, voire avec éclat, des princes ou des politiques dont ils avaient commencé par être les adversaires.

Quant aux républicains, de plus ou moins vieille date, ils ne sont coupables d’aucune réaction, parce qu’ils refusent, tout en se maintenant avec fermeté sur le terrain qu’ils ont conquis, de suivre d’anciens alliés ou de dangereux novateurs dans une campagne qui leur semble funeste, à juste titre, pour la prospérité matérielle et pour la tranquillité morale de la nation. Cette alliance entre les modérés de toute origine, qu’une succession d’événemens anciens pouvait faire prévoir, des événemens nouveaux se sont chargés d’en précipiter la signature. La séparation s’est faite d’elle-même, entre les hommes qui aiment la République, pour vivre d’elle en l’épuisant, et ceux qui l’aiment pour la faire vivre ; entre ceux qui entendent l’exploiter et ceux qui se contentent de la servir et qui ont reconnu les périls qui la menaçaient.

Le ton agressif des revendications du parti socialiste, les antiques chimères qu’il propose à notre vénération, sa mainmise impérieuse sur la direction de la nouvelle minorité de gauche, où les radicaux sont à la fois les plus nombreux et les moins forts, tout cela, suivi de l’attentat du 9 décembre, a dessillé les yeux les plus réfractaires, en dévoilant les liens intimes qui unissent certaines théories aux crimes les plus odieux. Tout cela aussi a fait fusionner, derrière un gouvernement capable de sang-froid et de décision, les membres d’une majorité que l’on peut désormais croire durable, et qui s’appuie elle-même sur ces foules moyennes de la démocratie, semblables aux vagues de la mer, fortes pour engloutir, mais aussi pour porter.

Non pas que cette majorité doive avoir pour unique programme la répression implacable des horreurs anarchistes, la résistance aux utopies anti-sociales. Il est des nouveautés utiles, et le Parlement a pour mission de les discerner. Il ne doit pas redouter le nouveau, par principe ; le conservatisme qui ne voudrait jamais s’aventurer ne serait que pourriture. Bien des illusions renferment quelque part de vérité, et l’humanité a déjà réalisé quelques rêves. Un grand courant de fraternité et de justice porte en ce moment tous les honnêtes gens au secours des déshérités. Ce vent de tendresse qui souffle sur les classes bourgeoises, et dont les âmes les plus pratiques de cette fin du siècle se