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de Dieu, mylord, dit-il à Byron, taisez-vous avec ce maudit cri ! » et pour conjurer le mauvais sort, il se mit à crier : « Hourrah pour Wellington ! —Allons, vieille canaille, lui dit alors Byron, mal embouché à son ordinaire, allons, va nous chercher quatre pots d’ale, et un pour chacun de ces messieurs les Français, et nous allons boire à la santé de Napoléon. Et si tu n’es pas revenu dans trois minutes, j’irai te chercher, et ces messieurs s’engageront à te casser les reins ! » Sur quoi les prisonniers, ayant appris le nom de leur visiteur, se mirent à crier : « Vive le lord Byron, vive le lord Byron ! Vive l’Empereur ! » Nous bûmes tous à la santé de Napoléon ; Shelley lui-même, qui ne buvait jamais ni bière ni eau-de-vie. fut contraint de vider son pot d’ale. — « Allons, Shelley, lui cria Byron, jetez, pour cette fois, votre infernale limonade, et avalez-moi ça ! » Puis nous rentrâmes à l’auberge ; Byron avait repris l’expression calme et dédaigneuse qui lui était habituelle. Et les échos de la rivière continuaient à répéter : « Vive le lord Byron, vive l’empereur ! »

Voilà comment Jane Clermont racontait à M. Graham « toute la vérité sur ses relations avec Byron ». Et M. Graham avait beau essayer de la pousser à des confidences plus intimes : elle se dérobait par une plaisanterie ou par un sourire.

— Mais enfin, lui dit-il un jour, est-ce que Shelley et Mary approuvaient votre liaison ?

— Ne savez-vous pas ce qu’ils pensaient du mariage ? Répondit Jane Clermont. Shelley ne pouvait qu’être heureux et fier de voir sa belle-sœur dans les mêmes termes avec Byron que Mary était avec lui. Mêlas, ni lui ni moi ne savions alors quel homme était ce Byron !

— Quel homme était-ce donc ? Un grand homme à coup sûr : et vous avez l’âme trop généreuse pour lui garder de la haine.

— Je ne lui garde point de haine, mais une grande indifférence et un grand mépris. La haine est une suite ordinaire de l’amour ; mais jamais je n’ai aimé Byron. J’ai été éblouie, fascinée, mais ce n’était point de l’amour.

— Et n’avez vous jamais connu l’amour ?

Jane Clermont rougit et refusa de répondre. Mais M. Graham insista :

— Shelley ? murmura-t-il.

— Oui, je l’ai aimé de tout mon cœur et de toute mon âme !

— Mais peut-être est-ce là une des raisons de la conduite de Byron envers vous ?

Jane Clermont, regrettait sans doute d’en avoir déjà trop dit. Elle parla d’autre chose.

Il est cependant aisé de voir, d’après ces entretiens, qu’elle avait gardé contre Byron une véritable haine. Elle ne manquait pas une