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étendue, que ces matériaux, multipliés chaque jour par le progrès de la musique, écrasent trop souvent ceux qui ne savent pas se les asservir. La musique est à cet égard un art dangereux. L’architecte, le sculpteur, se sentent protégés dans une certaine mesure, et comme garantis par la simplicité, par l’unité de la matière, pierre ou marbre, sur laquelle ils travaillent, et par le petit nombre des moyens qu’avec elle, ou contre elle, ils peuvent employer. Mais les musiciens, les pauvres musiciens d’aujourd’hui ! Pour commander à des élémens toujours plus complexes, à des harmonies, à des timbres dont le nombre et la variété s’accroissent indéfiniment. il leur faut une main et plus ferme et plus souple que jamais, une maîtrise plus que jamais souveraine ; plus de génie pour suffire à plus de procédés, pour se servir de tous et ne pas laisser voir qu’ils s’en servent. Le malheur de M. Chabrier, c’est que pour s’en servir il s’enfle, se travaille, hélas ! et que cela se voit. Non moins que l’harmonie, l’instrumentation de Gwendoline est continuellement poussée à l’outrance, à la frénésie. Tous les instrumens y donnent à la fois ; les cuivres n’y connaissent pas le repos, ni les harpes, en sorte que l’orchestre, allant des sonorités mystiques aux sonorités foraines, fait, comme eût dit Pascal, l’ange et la bête tour à tour. De ce tumulte pourtant, on peut, on doit même, et nous l’avons essayé, dégager certains élémens de beauté : la grandeur farouche, la vie, la grâce parfois et le style même. Pourquoi faut-il que jusque dans le souvenir qu’on emporte de l’œuvre, le bruit couvre tout, et qu’à se rappeler seulement Gwendoline, on en ait encore les oreilles meurtries ! En notre temps de sujets barbares, que deviennent, hélas ! l’esprit de finesse, la facilité, l’aisance et le sourire ? Nous faisons comme Carmosine, qui s’était laissé prendre au son des clairons, au bruit des épées. Dame Pâque, sa mère, s’en félicitait : « Ah ! quand j’avais son âge… » s’écriait-elle avec ravissement. Et maître Bernard, plus calme, lui répondait : « Quand vous aviez son âge, dame Pâque, il me semble que vous m’avez épousé, et il n’y avait point là de trompettes. » Il est vrai. Jadis on se mettait moins en dépense, et ni la musique, ni l’amour, n’est-ce pas, maître Bernard, ne s’en trouvaient plus mal. Quand Beethoven écrivait les neuf symphonies, il n’y avait pas là de harpes ; quand Mozart écrivait les Noces, y avait-il tant de trompettes ? Oh ! que nous le bénirons, le premier opéra où ces deux instrumens nous seront épargnés !

Le rôle de Gwendoline est honorablement tenu, bien qu’avec un peu d’aigreur quelquefois, par Mlle Berthet. M. Renaud, au contraire, déploie dans le rôle d’Harald l’étoile douce et ferme de sa voix de velours. Et pas plus qu’à la voix, la douceur ni la fermeté ne manquent au style de ce très sympathique chanteur.

Mme  Rose Caron a donné dernièrement de la Marguerite de Faust une interprétation très originale, étrange même, fort différente de