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En ces matières les prophéties sont vaines. Tout ce que peuvent faire les augures les mieux informés, c’est de prophétiser l’avènement de leur propre idéal et la réalisation de leurs souhaits. Les tendances mystiques seront-elles assez fortes pour inspirer de grandes œuvres et nous rendre par exemple une poésie ? Ou le goût de l’observation exacte et de l’étude minutieuse des faits va-t-il, après un discrédit passager. triompher de nouveau ? Ce que nous souhaiterions pour notre part, c’est que, sans renoncer aux habitudes de précision que nous a léguées la période écoulée, la littérature se fit intelligente de plus d’idées, compréhensive de plus de sentimens et d’émotions, et que, s’interdisant de mutiler l’âme humaine, elle mit tout l’homme en face de toute la nature. Verrons-nous toutes ces belles choses ? Il est encore permis, après la publication de la Dégénérescence, de le souhaiter et peut-être de l’espérer. M. Nordau n’a nullement établi que l’Europe ou même la France fût à la veille de sombrer dans le radotage sénile et dans l’idiotie. Son livre est de ceux qui embrouillent l’examen des questions littéraires ; mais il ne contribuera pas à réconcilier avec la médecine les esprits chagrins et d’ailleurs injustes qui seraient disposés à contester la prétention qu’elle a d’être une science.


RENE DOUMIC.