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demande : « M. Péladan croit-il à la réalité de ses représentations illusoires ? Autrement dit, se prend-il au sérieux ?… » Mais puisque nous ne le prenons pas au sérieux, que nous importe qu’il soit dupe de lui-même ? Il peut bien, s’il le veut, et sans que cela nous chagrine, croire à la réalité de ses représentations illusoires. Quelle est encore, au regard de notre histoire littéraire, cette date de 1880 où il paraît que M. Emile Goudeau fonda le groupe des Hydropathes ? Et quelle est cette « haute célébrité » que se serait acquise le café François Ier ? Ce n’est que hors de chez nous qu’on traite nos symbolistes avec tant de déférence ; cela, dans une intention d’hostilité à notre égard. Parmi nous, et auprès de ceux-là mêmes qui pensent qu’il faut tenir compte de leurs vagues aspirations, ils n’ont recueilli que des railleries. Aussi bien, voilà du temps déjà qu’ils n’ont fait parler d’eux, soit que, persuadés que leur œuvre est terminée, ils se reposent comme de bons ouvriers leur tâche étant finie, ou soit qu’ils se reconnaissent impuissans à la continuer.

Enfin et surtout le spectacle auquel nous assistons dans la période actuelle n’est pas tellement nouveau et inouï qu’on n’en puisse trouver d’analogues dans un passé même rapproché, et qu’il faille recourir, afin d’en rendre compte, à un genre d’explication encore inédit. Mais la méthode consiste à rechercher dans notre histoire littéraire des exemples de crises analogues, pour inférer du passé à l’avenir.

Qu’on se reporte aux premières années du XVIIe siècle ; qu’on suive cette période qui se prolonge jusqu’au temps de la Fronde ; on y trouvera en abondance les mêmes signes de malaise, les mêmes désordres et les mêmes tares que quelque contemporain, pessimiste et médecin, aurait pu, s’il lui en avait pris fantaisie, interpréter dans le sens de la sénilité et de l’épuisement. Pétrarchisme, gongorisme et marinisme, ce n’étaient qu’autant de noms de l’obscurité et de l’affectation. L’Adone était pour le moins aussi délirant que Pelléas et Mélisande. Et si l’Espagne et l’Italie nous servaient de modèles au lieu de la Russie et des pays Scandinaves, les snobs d’alors n’en trouvaient pas moins à satisfaire leur manie d’exotisme. Le mauvais goût triomphait au théâtre, où chaque pièce de Hardy était comme une sorte de monstre. Cet auteur fécond aurait apparemment des droits au titre de graphomane ; et de même on ne fait point tort à la réputation de ce pauvre Georges de Scudéry en insinuant qu’il n’était pas parfaitement sain d’esprit. La préciosité avait passé des salons et des ruelles dans les livres : que d’exemples elle fournirait, cette littérature précieuse, de jeux de mots, d’assonances, de vains bavardages, et de tout ce que les aliénistes appellent l’« écholalie » et la « verbigération » ! Le calembour, auquel ils reconnaissent la débilité d’esprit, sévissait sous le nom de turlupinade. L’explosion du burlesque pouvait être considérée comme le