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bas le pacte de famine ! » que s’est poursuivie la Révolution du siècle dernier. Qui peut dire que le nouveau pacte de famine actuellement sur le chantier législatif n’est pas appelé à avoir des conséquences aussi révolutionnaires ! » Cependant la question posée par M. Leygues au ministre de l’agriculture sur les mesures que compte prendre le gouvernement pour remédier à la crise actuelle et la réponse de M. Viger ont été frénétiquement applaudies par les socialistes. Ce parti extrême est ravi d’avoir été devancé par les grands propriétaires et de les voir préparer l’avènement du jour tant souhaité où l’Etat sera le grand meunier et l’unique acheteur du blé.

En tout cas, cette majorité parlementaire, aussi docile qu’hétérogène, a rendu largement la main à l’agriculture ; elle est même allée au-devant de ses désirs. Mais si légitime que soit la sollicitude que les intérêts agricoles peuvent inspirer, elle ne saurait justifier le sacrifice, l’anéantissement du commerce, de la marine et de l’industrie. Ces trois facteurs de la richesse nationale ont trop d’importance et le nouveau tarif douanier les a déjà trop compromis pour qu’il soit admissible qu’on leur porte encore la moindre atteinte.

Ce que nous combattons, c’est donc non seulement ces propositions de lois qui menacent le commerce du blé et l’industrie de la minoterie et des pâtes alimentaires, c’est l’ensemble du système qu’on semble vouloir imposer au commerce français. Aujourd’hui on attaque le blé, demain ce sera un autre produit et la plus grande partie de nos industries passeront tour à tour sur ce lit de Procuste. On ruinera ainsi l’industrie nationale et la richesse nationale, au nom du Travail national, non seulement sans profit pour lui, mais à son grand détriment ; on rendra encore plus intense la crise sociale : et nous serons comme ce personnage d’un roman célèbre que son médecin privait de nourriture et faisait mourir de faim pour lui conserver une bonne santé.


J.-CHARLES Roux.