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chargeait sur chariots pour les acheminer sur les marchés d’exportation par des trajets qui se comptaient par semaines et par mois, dans les principaux pays d’exportation. Arrivés sur ces marchés, les blés étaient mis à bord des navires à voiles, qui n’atteignaient les lieux de destination, où ils étaient lentement débarqués, qu’après de longs mois de navigation.

Calculez le stock flottant que ce mode d’opérer laissait aux mains de la culture ou des intermédiaires !

Aujourd’hui, au Nord comme au Midi, en France comme à l’étranger, les blés, aussitôt récoltés, sont battus à la machine et aussitôt transportés de la ferme sur le marché de vente par les voies les plus rapides. Dans les pays d’exportation, ils sont mis à bord des steamers qui, en quelques jours, les portent aux lieux de destination, où ils sont débarqués, de nuit et de jour, par les moyens les plus rapides.

Enfin, les communications entre tous les pays du monde étant constantes et faciles, la période des récoltes est, en quelque sorte indéfinie ; elle s’ouvre dans un hémisphère, en Australie, dans l’Amérique du Sud, etc., quand elle est terminée dans l’autre, et toujours des produits nouveaux viennent s’ajouter aux produits anciens offerts à la consommation.

Dans ces conditions, n’est-ce pas une utopie que de prétendre maintenir le niveau des anciens prix sur une partie du monde, quelle qu’elle soit ?

C’est cependant à quoi visent les agriculteurs. Ce qu’ils demandent, c’est qu’on leur garantisse un minimum de bénéfice et de revenu, c’est qu’on les mette à l’abri de l’évolution économique qui tend fatalement à faire baisser le prix de toute chose, c’est qu’on les dispense de tout effort. Sans s’en douter, ou plutôt sans l’avouer, ils vont vers le collectivisme, mais vers un genre de collectivisme tout spécial qui bénéficie aux seuls propriétaires à l’exclusion des ouvriers agricoles eux-mêmes, et des ouvriers de l’industrie.

Comment se fait-il donc qu’ils disposent aujourd’hui d’une majorité si compacte ? C’est qu’ils ont su persuader au paysan qu’il était de son intérêt que les droits fussent relevés. Ils ont fait naître, entretenu et surchauffé cette agitation qui aboutit aux excès les plus démoralisans, à la menace de la grève des corps constitués et des contribuables. Parti de la droite du Parlement, le mouvement a gagné le centre, puis la gauche, et il se propage en ce moment avec une véritable virulence jusque parmi les socialistes. Il n’y a pas longtemps cependant que M. Jules Guesde lançait contre le régime protecteur et le nouveau tarif des douanes cette imprécation : « C’est au cri de « A