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moindre aggravation de la situation actuelle donnerait à ce grief une force singulière. Si, en effet, le prix du pain n’a pas suivi la progression que l’on redoutait, cela tient à ce que, entre le blé et le pain, prennent place le négociant en farines et le boulanger. Les transactions auxquelles se livrent ces intermédiaires amortissent, pour ainsi parler, les variations du cours, et puis, la situation du boulanger vis-à-vis de sa clientèle est toute particulière. Guetté par une concurrence que chacun sait très âpre, il ménage ses acheteurs et ne leur impose une élévation de prix qu’à la dernière extrémité, se réservant de profiter des bas cours à venir pour réaliser les bénéfices que les cours élevés ont pu lui faire perdre temporairement. Mais il est certain que le jour où une majoration notable des droits amènera la cherté des farines, il sentira sa responsabilité dégagée vis-à-vis du public, et entrera, à son tour, hardiment dans la voie des augmentations de prix. Alors, le phénomène latent qui se prépare éclatera au grand jour ; les plaintes viendront, peut-être aussi les troubles, et nous retournerons aux plus mauvais temps de notre histoire.

En présence de l’impuissance bien constatée des efforts qui pourraient être tentés pour compenser les effets du change et arrêter l’importation au moyen d’un relèvement des droits : en présence du danger que présenterait d’ailleurs le succès d’une pareille entreprise, on a recherché une combinaison qui permît de donner satisfaction à l’agriculteur sans trop sacrifier le consommateur, et l’on n’a trouvé rien de mieux que de proposer le rétablissement, sous une autre forme, de l’échelle mobile. Sans doute, les auteurs de la proposition protestent contre toute assimilation de cette nature : ils affirment que la nouvelle institution diffère profondément de l’ancienne et qu’il serait erroné de préjuger les résultats de la seconde d’après les effets de la première. Malheureusement, il n’est que trop vrai que toute taxe variable ou tout droit compensateur, — quels qu’en puissent être le nom et l’apparence — participent absolument des mêmes principes que l’échelle mobile. Ils ne s’en distinguent que par l’absence des anciennes divisions en classes et sections, — divisions que l’unification du marché intérieur, la multiplication des transactions ont du reste rendues complètement inutiles aujourd’hui, — comme aussi par le changement du degré limite qui consistait autrefois en une prohibition absolue, et qui actuellement ne serait autre chose qu’une taxe prohibitive ! À cette mise au point et à celle nuance près, les deux systèmes sont identiques et les résultats ne pourraient manquer d’être analogues.

Du reste, les objections pratiques formulées par M. Develle, alors ministre de l’agriculture, contre une proposition de ce genre