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des troubles qui éclatèrent, suspendre le fonctionnement de l’échelle mobile, une première fois en 1846, puis en 1853, jusqu’en 1860. Quelques mois après, la loi du 15 juin 1861 supprima définitivement l’échelle mobile et lui substitua un simple droit de statistique de 0 fr. 60 par quintal de blé. Chose curieuse et bien digne qu’on la remarque : pendant le temps que dura ce règne de liberté relative, les prix du blé jouirent d’une stabilité et d’une fermeté que toute l’ingéniosité et la rigueur des lois passées, uniquement faites pour atteindre ce résultat, avaient été impuissantes à leur assurer. C’est au cours de la seule période qu’elle ait encore traversée de l’application ininterrompue d’un régime libéral que la production a atteint le chiffre le plus élevé : l’année 1874 a marqué la plus grande récolte du blé en France, 133 millions d’hectolitres !

On pouvait espérer qu’après avoir donné de semblables gages à la prospérité du pays, le régime de la liberté était appelé à subsister indéfiniment. Il n’en a rien été. Depuis environ une quinzaine d’années, une sorte de conspiration s’est lentement organisée contre la législation libérale dont la France avait été dotée. La dernière discussion du tarif général des douanes de 1889 a permis de vérifier avec quelle habileté consommée cette coalition d’intérêts avait été préparée. Les prétentions des uns et des autres se sont alors ouvertement produites au grand jour. Elles n’ont obtenu que trop complète satisfaction. Mais cette victoire, ce véritable triomphe avait été précédé d’escarmouches, qui avaient permis aux chefs de reconnaître le terrain, aux troupes de se compter ; et les premiers engagemens ont précisément porté sur le régime des céréales. Ces dernières avaient été exceptées des traités de 1860 et laissées indemnes parle tarif de 1881. On avait éprouvé une certaine répugnance à taxer les denrées alimentaires, produits de toute première nécessité. Mais cette hésitation fut de courte durée. Un premier droit de 3 francs fut établi par la loi du 28 mars 1885 ; il fut porté à 5 francs par la loi du 9 mars 1887. On prétendait assurer à l’agriculture l’égalité de traitement en la faisant bénéficier d’une protection équivalente à celle que le tarif général de 1881 avait assuré à l’industrie. En outre, de nouveaux droits avaient un double but : permettre à l’agriculture de transformer son outillage et ses méthodes en la mettant à l’abri de toute variation de prix trop brusque, puis écarter la concurrence de plus en plus menaçante de l’Amérique, de l’Inde, de l’Australie et de la Russie, qui, grâce à la richesse et a l’étendue de leurs terres et au bas prix de la main-d’œuvre, produisaient des quantités de blé de plus en plus considérables à des prix de plus en plus bas.