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qu’en France : ce n’est pas seulement chez nous qu’on ne « spécialise » pas les hommes d’État. Au point de vue de la répartition entre les deux Chambres (elle n’est pas plus à négliger en Italie qu’en France), le Cabinet compte trois sénateurs et sept députés, proportion raisonnable. Enfin il a dans le pays lui-même, une base non moins large que dans le Parlement : il y siège un Sicilien, M. Crispi ; deux Toscans, MM. Sonnino et le général Mocenni ; trois Piémontais. MM. Saracco, Blanc et Ferraris ; deux figures, MM. Boselli et Morin ; un Romain, M. Baccelli ; un « Méridional du continent », M. Calenda de Tavani.

Quelques notes biographiques ne seront peut-être pas inutiles ; on juge mieux les faits quand on connaît les hommes. Le baron Albert Blanc, qui l’ignore ? est un diplomate de carrière. Né à Chambéry le 10 novembre 1835, il est âgé de cinquante-huit ans. Editeur de Joseph de Maistre, secrétaire et élève du comte de Cavour, il a conquis ses grades un par un jusqu’à ce qu’il fût appelé par Mancini au poste de secrétaire général du ministère des affaires étrangères. Il a ensuite dirigé diverses légations et l’ambassade italienne à Constantinople, qu’il n’a quittée qu’à sa retraite, pour entrer, du reste, au Sénat. C’est sur le nom du baron Blanc que se sont élevées, à propos de la constitution du Cabinet, les discussions les plus vives. Le baron Blanc est-il un partisan très chaud, ou un partisan tempéré, ou un adversaire de la Triple Alliance ? Est-ce lui, comme le soutient M. Chiala dans son livre Pagine di Storia contemporanea, le principal auteur de l’accession de l’Italie au traité qui liait l’Autriche à l’Allemagne ? Ou bien, comme M. Pierantoni en a revendiqué l’honneur pour son beau-père, cette accession est-elle réellement l’œuvre de Mancini, que M. Blanc n’aurait fait que suivre, loin de le précéder et de le guider ? Quelle conduite a tenue M. le baron Blanc à Constantinople ? Est-il vrai qu’il y ait servi avec un zèle des plus tièdes les intérêts de la Triple ou de la Quadruple Alliance, nous entendons les intérêts de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Autriche, qu’il n’ait eu d’attentions et de sympathie que pour l’ambassadeur de France et que ce soit à cette tiédeur même qu’il ait dû de recevoir, plus tôt qu’à son heure, ses lettres de rappel ? Qu’est-il enfin, ceci ou cela, l’un ou l’autre ? Et pourquoi ne serait-il pas ceci et cela, l’un et l’autre ? D’abord protagoniste ardent de la Triplice, puis, après l’avoir vue à l’œuvre, dans son pays et au dehors, croyant de moins en moins fervent. Pourquoi ne veut-on pas qu’en politique comme en religion on puisse avoir une foi et la perdre ? Ce que M. le baron Blanc était hier nous intéresse médiocrement ; ce qui nous intéresse, c’est ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il sera demain.