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adroitement, le plus important de tous les arts, pour les hommes d’Etat, après celui de réussir.


III

M. Zanardelli n’a pas de chance : M. Crispi en a beaucoup, à supposer que ce soit une enviable fortune que de gouverner en ce temps-ci. Il fut un temps où le gouvernement était un métier comme un autre, qui s’enseignait et s’apprenait, dont le secret tenait en un corps de règles ou de préceptes ; il n’avait à remplir qu’une tâche peu compliquée, et n’employait que peu d’instrumens et des instrumens assez simples. Mais les États se sont accrus, et, dans chaque État, l’objet de la politique est devenu plus complexe. On ne peut plus s’en remettre de rien à l’inspiration ni au hasard. La politique, même pratique, est devenue une science ; il en résulte que plus s’étend le domaine du gouvernement, plus le personnel gouvernemental est et doit être limité. Le ministère que M. Crispi a fait, c’est, ou à peu près, le ministère que M. Zanardelli a voulu, mais n’a pas pu faire. On y trouve M. Sonnino Sidney et M. Saracco qu’on ne trouvait plus sur la liste de l’ancien président de la Chambre. On y trouve M. Boselli auquel M. Zanardelli avait pensé. M. Crispi prend l’intérieur que, lui aussi, M. Zanardelli s’était réservé. Le baron Blanc a les affaires étrangères, M. Sonnino les finances, M. Saracco les travaux publics, le général Mocenni la guerre, l’amiral Morin la marine, M. Calenda de Tavani la justice, M. Baccelli l’instruction publique, M. Boselli l’agriculture et le commerce, M. Maggiorino Ferraris les postes et télégraphes. M. Sonnino a, en outre, l’intérim du trésor et c’est là qu’on peut admirer la chance de M. Crispi.

Un des motifs pour lesquels n’a pu se faire ou s’est défait le cabinet Zanardelli est que M. Zanardelli, on se le rappelle, n’avait point de ministre des finances. M. Crispi n’a pas de ministre du trésor, ce qui est presque aussi fâcheux, et néanmoins il aboutit. Comme M. Zanardelli, il a été, à maintes reprises, contrarié dans ses intentions. Il avait offert à M. Perazzi un des trois portefeuilles des finances, du trésor ou des travaux publics. Avec MM. Perazzi, Sonnino et Saracco, le Cabinet eût renfermé les trois financiers les plus experts de l’Italie, concours inappréciable, en un moment où les finances tiennent une place si importante dans les préoccupations politiques. Soit que M. Saracco n’ait accepté, comme on l’a dit, que les travaux publics, et M. Sonnino que les finances, ne laissant à M. Perazzi que le trésor, soit qu’il n’ait pu s’entendre avec ses deux