Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortune du royaume dépend un peu de sa réponse à l’invitation qui lui est adressée. Les chances de durée du cabinet se comptent, qu’on nous passe le mot, par les couverts. Lorsque la quantité s’y trouve et en outre la qualité, on attend plus patiemment l’épreuve du retour des vacances. M. Giolitti, au mois d’octobre dernier, pouvait sans trop de jactance se vanter d’avoir la quantité ; pour la qualité, on la contestait, relevant, au contrôle, des noms qui ne brillaient pas d’un bien grand lustre.

Comme ces espèces d’assemblées se tiennent en forme solennelle et toutes portes ouvertes, pour que le peuple voie et entende, comme le président du conseil y parle en même temps au Parlement et à la nation, le genre oratoire qui convient est tout indiqué. Il faut frapper l’imagination plus que la raison, saisir plutôt que disserter. M. Crispi n’a point de rivaux dans cet exercice. Le fameux discours de Palerme est un chef-d’œuvre et un modèle, si l’on en juge par le style. M. de Rudini, plus correct mais plus froid, n’a pas atteint à cette maîtrise ; néanmoins, dans le discours de Milan, il y avait encore des formules heureuses et piquantes. C’était comme autant de clous où s’accrochait et se prenait l’attention. Avec M. Giolitti, plus le moindre trait, plus un mot qui sonne et traverse la toile de la tente sous laquelle la table était mise. Il ne se peut concevoir rien de plus terne, de plus lourd que le discours de Dronero et, pour tout dire, si M, Giolitti est tombé, c’est, en partie, que l’Italie, à l’heure où elle avait besoin d’une voix qui chantât l’hymne d’espérance, ne l’a pas senti assez artiste. M. Giolitti a le tort, puisqu’il semble que c’en soit un, d’être de Coni, de Cuneo, une ville qui jouit en Italie de la même réputation que Falaise en France : inépuisable thème à plaisanteries faciles. Il a parcouru une carrière administrative rapide, n’ayant jamais eu, le long de sa route, beaucoup de souci de cultiver les grâces de l’esprit, ni beaucoup de loisir pour le faire. Ajouterons-nous un dernier détail : il ne s’habille pas à la mode de Londres. Sa vaste redingote est légendaire, et Mascagni vient de la mettre en musique : l’Addio di Palamidone. Aucun de ces défauts n’est, évidemment, très grave, à lui seul : il n’empêche qu’au total M. Giolitti n’est pas un ténor suffisant pour être longtemps premier ministre, si le régime parlementaire exige, en tous pays, l’éclat de quelques airs de bravoure.

Quoi qu’il en soit, étant premier ministre, M. Giolitti, conformément à la coutume, avait, le 18 octobre, exposé son programme au banquet de Dronero. La plus grande partie de son discours était, comme on pouvait le prévoir, consacrée aux questions de crédit et de finances : toutefois, M. Giolitti ne pouvait traiter de la