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Banque de France, ne pouvant plus émettre de billets, payait en métal jaune à guichets ouverts : c’était à qui réclamerait des billets. Or, des billets peuvent tout aussi bien représenter de l’argent que de l’or : les États-Unis ont les silver certificates qui sont la représentation directe, la photographie en quelque sorte des dollars d’argent monnayés reposant dans les caisses de la Trésorerie ; ils ont également les billets du Trésor, Treasury notes, qui sont, eux aussi, garantis par de l’argent et sur la nature particulière desquels nous allons revenir dans un instant. Du moment où le public accepte volontiers le papier en représentation des espèces, peu importe le poids de celles-ci. Il ne s’agit que d’en apprécier la valeur.

D’autre part, quand les silverisles (je voudrais acclimater en France un mot spécial pour désigner le métal-argent afin de le distinguer de l’argent-monnaie au sens général) nous disent que gonfler la masse métallique monétaire c’est augmenter la fortune publique dans la même proportion, ils attribuent aux métaux précieux, que ce soit l’or ou l’argent, un rôle qui n’est pas le leur. Qu’est-ce que cette masse métallique en comparaison de la richesse réelle d’un pays ? On évalue à des centaines de milliards la fortune tant mobilière qu’immobilière de la France. Fussions-nous détenteurs, comme certains auteurs le croient, de six milliards de numéraire, qu’est-ce que cela, en comparaison du premier chiffre ?

Il est certain que démonétiser un métal dans un pays, c’est en appauvrir les habitans, puisqu’ils ont reçu ce métal et l’ont payé en marchandises ou en travail à sa pleine valeur. Mais autre chose est enlever à des monnaies existantes leur force libératoire, autre chose cesser de frapper des monnaies libératoires avec ce métal ; dans ce dernier cas on ralentit ou peut-être même on arrête l’extraction du minerai dans les pays producteurs, on les prive d’un profit éventuel, mais c’est tout. Et encore ne faut-il pas oublier que l’industrie minière dans son ensemble est une des plus aléatoires et des moins rémunératrices qui soient. Dans cette Amérique qui est pourtant le pays minier par excellence, l’ensemble du capital placé et dépensé réellement dans les mines d’or et d’argent ne rapporte pas 1 p. 100. Atteindre cette industrie n’est pas frapper une de celles qui enrichissent le plus la contrée. C’est encore un côté de la question qu’il convient de mettre en lumière si on veut être parfaitement équitable.

Du reste, le bimétallisme ne doit pas être envisagé au point de vue de l’intérêt des propriétaires de mines d’or et argent, ni de leurs ouvriers. Les uns et les autres se livrent à une industrie