Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissances. Nous sommes ainsi pourvus, s’il est permis d’employer cette expression, d’un certain nombre d’idées qui nous paraissent simples parce qu’elles ont été celles de la génération qui nous a précédés, et que nous en avons été imprégnés dès notre enfance. Mais, si nous voulons remonter à la source, nous jugerons que cette équivalence entre l’or et l’argent n’a pas dû être établie un seul instant par les premiers hommes qui se servirent des deux métaux, jaune et blanc, comme monnaies. De même qu’ils durent admettre la variation du poids d’or ou d’argent par rapport à une même quantité d’autres marchandises, un certain poids de fer par exemple, de même ils durent comprendre et bientôt constater que, suivant les temps et les lieux, une même quantité d’argent s’échangeait contre une moindre ou plus grande quantité d’or, et inversement qu’en échange d’un certain lingot d’or ils obtenaient, suivant les temps et les lieux, un lingot d’argent de poids variable.

Après tous les travaux de nos hellénistes, nos sinologues et nos égyptologues, après le bel ouvrage de Lenormant sur la Monnaie dans l’antiquité, il n’est pas démontré que chez tous les peuples anciens employant les métaux précieux un même mot servît à désigner indistinctement une certaine quantité, toujours invariable, d’or ou d’argent. Les Grecs comptaient par mines ou talens d’argent. C’est du moins ce qui fut longtemps le cas dans les républiques grecques avant l’arrivée en grandes quantités des monnaies d’or perses. M. Théodore Reinach, dans le très intéressant mémoire qu’il vient de publier sur les Origines du bimétallisme, fait observer que le rapport de valeur des métaux précieux chez les Grecs, loin d’avoir eu la fixité que la légende lui attribue, a varié dans le courant de leur histoire dans des proportions très notables. Il y a bien eu une période d’environ 150 ans, pendant laquelle une sorte de bimétallisme au sens moderne a existé ; mais, en général, lorsqu’un Grec énonçait une monnaie, sans désigner le métal dont elle était formée, c’est que le nom seul, par lui-même, indiquait déjà ce métal. Rappelons à cette occasion que les anciens Grecs employaient un troisième métal monétaire, non le cuivre, — qui n’obtint le rang de monnaie libératoire qu’en Égypte, où sa valeur était fixée au soixantième de celle de l’argent, et à Rome, dans les premiers siècles de son histoire, — mais l’électrum, l’or blanc, alliage d’or et d’argent que l’on recueillait dans le Tmolus et le Sipyle ainsi que dans les sables du Pactole. A l’époque où la Lydie frappait des monnaies de ce métal, qui, d’après les hypothèses les plus vraisemblables, se trouvait à l’état natif et n’était pas le résultat d’un alliage artificiel, elle eut un trimétallisme légal : électrum,