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et son dernier commis, mais encore l’apollon du Belvédère et Triboulet. Ce n’est pas que notre costume soit laid parce qu’il est uni : le péplum des Grecs l’est bien davantage : ni parce qu’il est noir ; quels magnifiques effets Van Dyck et Rembrandt n’ont-ils pas tirés des noirs ! mais parce que ses formes géométriques, tantôt étriquées, tantôt redondantes, loin de rendre fidèlement les renflemens des bras, les saillies des hanches, les courbes du col, les attaches des poignets, les méplats du torse, y substituent la conception rigide et artificielle des tailleurs. Or, s’il est une vérité acquise en esthétique, c’est que le vêtement doit suivre la forme qu’il recouvre, l’envelopper sans la cacher, et l’orner sans la travestir, comme le style fait l’idée. L’opinion de M. Sully Prudhomme qu’une machine est esthétiquement belle en tant qu’expressive ou représentative de ses moteurs est encore plus juste appliquée au costume qui doit être représentatif du corps humain. Cela saute aux yeux, lorsqu’on parcourt quelque collection de costumes historiques ou tout simplement de vieilles gravures de modes. Le pourpoint sied mieux que la redingote où flottent des basques inutiles, la culotte courte mieux que le pantalon qui prête à la jambe le même volume de la cheville jusqu’au genou. La chaussure qui suit exactement la forme du pied est de meilleur goût que la poulaine ou la spatule. Un bras d’amazone est plus gracieux que celui d’une manche à gigot qui semble inventée pour recouvrir une énorme tumeur. « L’habit de nature, dit très bien Diderot, c’est la peau ; plus on s’éloigne de ce vêtement, plus on pèche contre le goût. » La draperie flottante, la toge des anciens ne déroge pas à cette règle : elle la confirme, au contraire, car plus qu’aucun autre vêtement, elle révèle le corps humain. Les plis traduisent le corps qui est sous la draperie, comme les rides et les jeux de physionomie traduisent l’âme. Qu’une jeune fille prenne ce que les Grecs appelaient l’anabole hémidiploïdion, c’est-à-dire une longue pièce de tissu souple, carrée, et qu’elle se l’attache aux épaules : aussitôt la draperie reproduit les formes qu’elle recouvre, creusant mille plis révélateurs, et ainsi le vêtement, au lieu d’être décrété d’avance par la main d’un couturier, se trouve être le calque du dessin divin. Cela est si vrai qu’on ne peut considérer la tunique ou le manteau comme de beaux vêtemens que s’ils sont souples, c’est-à-dire si leurs plis sont assez fréquens pour exprimer les plus légères saillies, les moindres changemens d’attitude et faire sentir le nu : telles les tuniques des canéphores cheminant sur le Parthénon ; une chape massive recouvrant d’une forme sommaire, mais inflexible, tout le corps humain est d’un fâcheux effet, tandis que la calyptre de tissu léger qui moule les Tanagréennes s’éventant avec leur flabellum offre des lignes d’une rare beauté. Il semble donc