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contraire aux intérêts de la France ? Etait-ce là le système que son plénipotentiaire devait travailler à faire prévaloir ? Ne devait-il pas, au contraire, souhaiter que la maison de Saxe reçût, en dédommagement du royaume qui lui serait enlevé, les provinces qu’il s’agissait de donner à la Prusse sur le Rhin ? Ce nouvel État ne devenait-il donc pas un nouvel allié nécessaire à la France ? il en aurait été on quelque sorte une annexe, et la France, n’ayant plus de point de contact avec la Prusse, aucun sujet de jalousie, de rivalités, n’existant de l’une à l’autre de ces puissances, rien ne les aurait empêchées désormais de contracter une alliance aussi intime que pouvait l’indiquer ou le commander la politique générale de l’Europe. La Prusse, dans cette combinaison, devenue forte et compacte, se serait trouvée au nord de l’Allemagne en première ligne de défense contre la Russie. Elle aurait pu, au besoin, être appuyée, secourue par la France. Que si l’Autriche était entrée dans ce plan de conduite si naturel, alors l’Europe, et l’Allemagne particulièrement, auraient été mises, autant que le permettait la nature des choses, à l’abri de ces terribles invasions du Nord qu’on n’était que trop fondé à redouter.

M. de Talleyrand s’est-il refusé à reconnaître les avantages d’une telle organisation des forces européennes ? Pourquoi a-t-il méconnu les véritables intérêts de son pays ? Qu’on veuille bien se souvenir de ce que j’ai dit de sa situation, de ses dispositions au moment de son départ. Il était déjà, sans nul doute, on ne saurait mieux informé de ce qui se préparait dans les quatre cabinets alliés, il avait dû s’en expliquer avec le Roi. Or, qui pourrait nier que l’idée de soutenir, en défendant le roi de Saxe, le principe de l’inviolabilité des droits résultant d’une antique possession, ne dût être particulièrement chère à une maison souveraine dont la restauration était si récente ? M. de Talleyrand l’avait donc adoptée, défendue, ainsi que toutes les conséquences, sans nulle restriction. Ainsi on entrait dans le système de l’Angleterre, de l’Autriche, en se détachant de celui de la Russie. On se débarrassait d’une proposition de mariage dont on était importuné, entre le duc de Berry et une grande-duchesse, sœur de l’empereur Alexandre. Enfin, en accordant à l’Autriche la conservation du royaume de Saxe, en s’unissant avec elle pour la défense de la légitimité d’une antique famille, on aurait beau jeu quand on lui demanderait de sacrifier le roi Murat et de reconnaître les droits de la branche de la maison de Bourbon au royaume de Naples.

Sur ce dernier point, je ne nie pas qu’il ne fût utile à la France, replacée sous le sceptre des Bourbons, d’obtenir cette réintégration ; je pense qu’on y devait travailler ; mais fallait-il acheter cet avantage par des sacrifices aussi grands, par des complaisances