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II

Le système de l’Angleterre et de l’Autriche, lié dans toutes ses parties, pouvait très bien se soutenir. Rejeter la Russie le plus loin possible de l’Allemagne, et pour cela étendre beaucoup la Prusse en Pologne, était une politique facile à justifier. On comprend que dans cette hypothèse la Saxe pouvait aisément être sauvée ; que, du moment où la Prusse serait satisfaite du côté de la Vistule, il ne devait pas être difficile de repousser ses prétentions sur Dresde. Mais avait-on le moyen de forcer le tsar à renoncer à la conquête qu’il avait faite du grand-duché de Varsovie ? Car il ne faut pas perdre de vue que la Prusse avait renoncé par le traité de Tilsitt aux provinces qui le composaient. Pouvait-on se flatter que la Russie, après le rôle qu’elle avait joué dans la dernière campagne, lorsqu’elle avait seule par sa résistance en 1812 ébranlé la puissance colossale de Napoléon, lorsqu’elle avait, depuis, constamment marché à la tôle, des armées de l’Europe, consentirait à ne retirer aucun fruit des efforts prodigieux, des immenses sacrifices qu’elle avait faits ? Comment, en cas de résistance, pouvait-on la contraindre ? Lui ferait-on la guerre ? A elle et à la Prusse, si évidemment devenue son alliée ? Risquerait-on, pour cette querelle, de mettre encore une fois l’Europe en feu ? On a pu le dire ; pendant trois mois des bruits de guerre ont circulé à Vienne et dans toute l’Allemagne ; M. de Talleyrand a affecté d’y croire ; il a même été jusqu’à demander à sa cour qu’on lui envoyât un général avec lequel il put discuter la part que la France pourrait prendre aux hostilités. On lui a en effet envoyé le général Ricard ; mais je ne crains pas de dire qu’une telle pensée n’a jamais pu entrer sérieusement dans aucune tête vraiment politique.

L’épuisement universel était trop grand et le danger d’une nouvelle crise était trop évident pour que personne osât l’affronter sans la plus absolue nécessité. Quoi qu’on put dire ou écrire, la Pologne, c’est-à-dire le grand-duché de Varsovie, — demeurerait à la Russie, puisqu’elle le voulait absolument ; alors il ne restait de tout le plan de l’Autriche et de l’Angleterre que ceci :

Il ne faut pas donner la Saxe à la Prusse, il vaut mieux porter cette puissance sur le Rhin. Elle y renforcera la barrière que nous élevons contre la France, elle deviendra son ennemie par cela seul que ses frontières deviendront limitrophes et parce qu’elle ne pourra se dissimuler que les provinces qui lui auront été données de ce côté seront toujours convoitées par la France.

La question ainsi posée, pouvait-on rien imaginer de plus