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mise de côté, on la regardait dans les cabinets prépondérans comme décidément impraticable. Le seul point sur lequel les huit puissances fussent parvenues à s’entendre était leur compétence comme tout discuter, tout régler entre elles.

M. de Talleyrand avait fait encore un pas très important. S’il n’avait pu obtenir que les huit puissances formassent sur toutes matières un comité chargé de soumettre à l’ensemble du congrès les questions sur lesquelles il aurait à prononcer, si même il n’avait pu empêcher que leur réunion ne fût pas jugée nécessaire, dans tous les cas du moins avait-il obtenu l’admission de la France dans les comités tenus par les quatre puissances dites alliées. Il partageait l’autorité quelles avaient voulu s’attribuer, à l’exclusion des autres. Il n’avait plus intérêt à la contester. Ce que j’ai dit plus haut, du besoin que chacune de ces puissances pouvait avoir de se ménager un appui, explique suffisamment les facilités qu’il avait trouvées ; elles lui furent procurées par deux d’entre elles surtout, qui se croyaient sûres de son concours.

Nonobstant les deux notes autrichienne et anglaise dont je viens de parler et qui répondaient à celle de la Prusse, la Russie se permit, dans les premiers jours de novembre, un acte qui fit une grande sensation à Vienne, et même dans toute l’Europe. On vit paraître une proclamation adressée aux autorités saxonnes par le prince Repnin, dans laquelle on lisait que, par suite d’une convention arrêtée entre la Russie et la Prusse, du consentement de l’Autriche et de la Grande-Bretagne, l’administration du royaume de Saxe allait être remise dans les mains de la Prusse. Ce procédé avait évidemment pour but de préparer la réunion de la Saxe à la Prusse ; la proclamation, si je ne me trompe, le disait formellement.

Il faut savoir qu’après le gain de la bataille de Leipzig on n’avait pas permis au roi de Saxe de résider dans sa capitale ; il avait été réduit à se retirer à Friedrichsfeld. Lorsque cette déclaration fut publiée, la France venait précisément de prendre parti : M. de Talleyrand s’était décidé à entrer dans les intérêts de l’Autriche. Il avait fait distribuer, le 2 novembre, un mémoire sur le sort de la Saxe et de son souverain. Il établissait son droit sur la possession si ancienne de la maison de Saxe ; les souverains devaient respecter ces antiques établissemens que l’esprit révolutionnaire avait longtemps foulés aux pieds. Quant à l’utilité de la réunion de la Saxe à la Prusse, il la contestait et allait jusqu’à exprimer la crainte que cette entreprise fût de nature à passionner l’Allemagne et à y susciter une nouvelle révolution. Il s’appuyait sur la belle maxime, que l’injustice est un mauvais