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eut la tétrarchie de Pérée et de Galilée ; Philippe eut l’ancien pays de Zénodore ; Panéas, la Gaulanitide, la Trachonitide, la Batanée, aussi avec le titre de tétrarque[1]. Salomé, tous les membres de la famille hérodienne, Auguste, Julie, reçurent des legs énormes.

Les funérailles furent superbes, présidées par Archélaüs. Le corps fut porté de Jéricho à Hérodium sur une litière d’or capitonnée de pierres précieuses ; le drap mortuaire était écarlate, le corps vêtu de pourpre, la tête ceinte du diadème, surmonté d’une couronne d’or, le sceptre à la main. Toute la famille était groupée alentour. L’armée suivait, divisée en ses différens corps : d’abord les gardes du roi, puis le régiment thrace, puis les Germains, puis les Galates. Puis venaient le gros de l’armée, comme si l’on allait à une expédition, et cinq cents domestiques portant des parfums. Hérode fut enterré dans son château favori. Le tombeau d’Hérode que l’on voyait près de Jérusalem n’était qu’un cénotaphe.

Le jour de la mort d’Hérode figura dans l’album des fêtes d’Israël comme un jour de joie. Le christianisme naissant, dans ses légendes, peignit aussi Hérode sous les plus noires couleurs. La famille de Jésus, en particulier, paraît avoir été contre lui une officine de calomnies. Il crut arrêter le christianisme dans son germe ; il voulut tuer le petit Jésus ; il extermina les innocens de Bethléem. La liste des crimes réels d’Hérode est assez longue pour qu’on ne l’amplifie pas de crimes apocryphes. Jésus n’était pas né quand Hérode mourut à Jéricho. Mais, en un sens, il est très vrai qu’Hérode voulut tuer Jésus. Si son idée d’un royaume juif profane eût prévalu, il n’y aurait pas eu de christianisme. Israël ne connut plus désormais de poigne comme la sienne ; la liberté profita de l’affaiblissement de l’autorité, Hérode Antipas, Hérode Agrippa, les procurateurs romains, seront de faibles obstacles au développement des mouvemens intérieurs dont Israël porte le germe en son sein.

Ernest Renan.

  1. Le mot tétrarque ou tétradarque est ancien grec. Il signifie chef de tétrade ou de quartier d’un pays divisé en plusieurs parties.