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curieux ; l’éducation en fit un lettré. Il a composé, en grec, des livres qui jouirent de son temps de beaucoup de célébrité. Tous les pédans de l’empire, ravis d’avoir pour collègue un si grand personnage, le comblèrent d’éloges. « C’est, dit l’un d’eux, le meilleur historien qu’il y ait jamais eu parmi les rois ; » ce qui n’est peut-être pas lui faire un grand compliment. Nous avons les titres d’un grand nombre d’ouvrages qu’il avait écrits sur des sujets très variés, d’abord une histoire romaine qui est souvent citée par Plutarque, des traités de géographie, une description de la Libye, qui vraisemblablement nous aurait appris bien des choses, une autre de l’Arabie, dédiée à C. César, le petit-fils d’Auguste, que tentaient ces pays lointains, des ouvrages sur le théâtre, où il avait l’occasion de s’occuper de la musique, de la peinture et en général de tous les arts de la Grèce. C’est, comme on voit, une véritable encyclopédie. On serait tenté de beau coup admirer cette science universelle, si, en regardant de plus près les fragmens qui nous restent de ces livres, on ne s’apercevait que ce devaient être de simples compilations. Il est probable que le principal talent de Juba consistait à posséder une bonne bibliothèque, composée d’ouvrages bien choisis, avec des secrétaires intelligens, qui savaient trouver dans ces livres les réflexions piquantes et les anecdotes rares. Il en résultait des travaux agréables et utiles, qui épargnaient aux historiens de minutieuses recherches, et, comme ils en profitaient, ils étaient portés à en exagérer le mérite. Après tout, c’était un spectacle curieux et fait pour donner de l’orgueil aux lettrés que de voir le descendant d’une race de barbares s’éprendre de littérature, écrire, dans la langue la plus élégante du monde, des traités d’histoire et d’érudition, et faire des leçons à ses maîtres. Quand on songeait que ces livres portaient le nom d’un roi de Maurétanie, il était naturel qu’on leur devînt très indulgent, et même, avec un peu de complaisance, qu’on les regardât comme des chefs-d’œuvre.

Le goût que Juba éprouvait pour les lettres et les arts de la Grèce, et qui lui venait de son éducation, s’était encore augmenté par son mariage. Auguste lui avait fait épouser la fille d’Antoine et de Cléopâtre, celle que sa mère appelait la Lune (Cleopatra Séléné). Il semblait vraiment que le sort les eût faits l’un pour l’autre ; ils avaient, avant de se connaître, traversé des destinées semblables. Arrachée au palais de sa mère, après le désastre d’Actium, et emmenée captive à Rome, comme Juba, elle avait eu la chance de trouver une autre mère dans Octavie, la sœur d’Auguste. Cette noble femme, la plus belle figure de ce temps,