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IV

Il semblait naturel qu’après la défaite de Jugurtha Rome changeât de système, qu’elle se décidât à faire de la Numidie une province de son empire et à l’administrer directement. Il n’en fut rien ; elle ne trouva pas sans doute que l’expérience fût concluante, et alla chercher d’autres descendans de Massinissa auxquels elle céda la plus grande partie des pays qu’elle venait de soumettre. Elle n’eut pas beaucoup à s’en louer. Juba, l’un de ces princes, qui avait fini par reconstituer à peu près le royaume de son aïeul, crut pouvoir se mêler aux guerres civiles ; il se jeta dans le parti de Pompée, s’y fit remarquer par son insolence, et fut complètement défait par César à Thapsus. Peut-être Massinissa et Jugurtha, ses grands prédécesseurs, même après un pareil désastre, n’auraient-ils pas perdu tout à fait courage. Il restait le désert, qui offrait un refuge au vaincu, et avec ces populations errantes et guerrières, éprises d’aventures, affamées de pillage, on pouvait toujours refaire une armée. Mais le suicide était alors à la mode ; Juba trouva plus simple de mourir. Son ami Pétréius, le vieux général pompéien et lui, se firent servir un grand repas, dans une des maisons de campagne du roi, et, quand il fut achevé, ils mirent l’épée à la main. Alors, dans un duel étrange et terrible, duel d’amitié, non de haine, ils essayèrent de s’entre-tuer, pour échapper au vainqueur. Pétréius, qui était affaibli par l’âge, périt le premier ; Juba se fit achever par son esclave.

Cette catastrophe ne mit pas encore fin à la dynastie berbère. Juba laissait un fils, un enfant, qui fut amené à Rome par César et figura, comme captif, dans son triomphe, derrière son char. Auguste, qui cherchait à guérir toutes les blessures des guerres civiles, affecta d’être bienveillant pour ce jeune homme. Il le fit bien élever, l’emmena avec lui dans ses guerres, le prit en affection, et finit par lui rendre en partie le royaume de son père. Mais bientôt, comme il lui semblait important de conserver la Numidie sous la main de Rome. il le transféra en Maurétanie, c’est-à-dire dans les régions occidentales de l’Afrique du Nord. La Maurétanie comprenait une partie de l’Algérie d’aujourd’hui et ce que les Romains possédaient du Maroc. C’était un pays mal connu, peu soumis, presque barbare, qu’on chargeait le jeune prince de civiliser.

La tache présentait beaucoup de difficultés, mais Juba II était parfaitement préparé pour l’accomplir. De nature, c’était un