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Il n’a donc pris la peine de dépeindre les lieux où les événemens se passent que lorsqu’il croit indispensable de le faire ; encore a-t-il l’air de s’en excuser, et à chaque fois, il a grand soin de nous affirmer qu’il ne dira que le nécessaire et qu’il promet d’être aussi court que possible (breviter, quam paucissimis verbis). La manière dont il les décrit nous montre à quel point le goût du pittoresque, dont nous sommes charmés, et le souci de la couleur locale étaient étrangers aux idées de son temps. Il faut bien qu’au début de son ouvrage il nous décrive le théâtre où va se passer l’action qu’il entreprend de raconter. C’est une nécessité de son sujet, res postulare videtur. Mais en une phrase il a tout dit : « La mer y est dangereuse, les rivages ont peu de bons ports ; la terre est fertile en céréales, favorable aux troupeaux, contraire aux arbres ; la pluie et les sources étant rares, l’eau y manque. » Voilà tout, et l’on trouvera vraiment que ce n’est guère. Même quand il s’agit de phénomènes singuliers qui sont inconnus hors de l’Afrique, et qui ont dû exciter sa curiosité, il ne fait pas plus de frais pour les dépeindre. Il est probable que, dans ses courses, il a fait connaissance avec le simoun et qu’il en a souffert. On ne le dirait pas à la façon dont il en parle : « Il s’élève, dit-il, dans le désert, de véritables tempêtes, comme sur la mer. La plaine étant unie et sans végétation, le vent, que rien n’arrête, soulève le sable, dont les violens tourbillons couvrent les visages, emplissent les yeux, en sorte que le voyageur aveuglé ne peut pas continuer sa route. » Il était difficile d’en dire moins et en des termes moins poétiques.

Il faut donc nous résigner à ne trouver chez Salluste, quand il parle des lieux et des gens de l’Afrique, que des renseignemens trop courts et très secs ; mais nous sommes sûrs qu’au moins ils sont parfaitement exacts : c’est ce que nous a démontré une expérience de cinquante ans. Les collines qu’il nous dépeint « couvertes d’oliviers sauvages, de myrtes et des autres espèces d’arbres qui poussent sur un sol aride et sablonneux, » nous les connaissons parfaitement. Les villes, entourées de vastes plaines nues, où rien ne pousse, et où l’on ne boit que l’eau des citernes, elles existent encore ; nos soldats les ont souvent rencontrées sur leur route. Les Numides sans loi, avides de changemens, toujours prêts à se jeter dans des aventures nouvelles, nous avons eu à les combattre. Que de fois, après des traités et des sermons, il nous a fallu recommencer la lutte que nous croyions finie ! L’armée de Jugurtha nous rappelle tout à fait celle d’Abd-el-Kader : il a ses réguliers, fantassins et cavaliers de choix, qu’il a équipés comme les soldats des légions ; et, avec eux, les goums