Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A quelle époque a-t-on commencé à s’en servir ? On l’ignore ; on a seulement la preuve qu’il existait déjà du temps des Carthaginois, deux ou trois siècles avant notre ère, et rien n’empêche de croire qu’il remontait beaucoup plus haut. Il dut être fort en usage du temps de la dynastie numide, quand Massinissa essaya de civiliser ses sujets : aussi en a-t-on trouvé des restes en très grand nombre dans les pays voisins de Cirta. On peut dire qu’il s’est conservé jusqu’à nos jours, puisqu’on a montré qu’il est à peu près identique au Tefinagh, dont se servent encore les Touaregs. On ne paraît pas l’avoir jamais employé à des ouvrages de longue haleine : quand le roi Hiempsal voulut composer l’histoire de la nation sur laquelle il régnait, il l’écrivit en punique. On n’en a guère usé que pour rédiger de courtes inscriptions funéraires et religieuses. Ces inscriptions, qu’on recueille avec le plus grand soin depuis quelques années, ne se sont pas seulement trouvées dans l’Algérie et la Tunisie : il y en a aussi dans les profondeurs du Sahara, gravées à la pointe du poignard, écrites avec du goudron ou de l’ocre, sur les parois des grottes, sur les rochers à surface plane, auprès des puits ou des sources, partout où le nomade fatigué s’arrête, retenu par l’attrait de l’ombre et de l’eau. On en a découvert, ce qui est plus extraordinaire, à l’Est, dans la Cyrénaïque, en Égypte et jusque dans la presqu’île du Sinaï ; à l’Ouest, dans le Sous marocain, et même aux Canaries.

Ainsi, dans cet immense espace de près de 5 000 kilomètres de long, un peuple a vécu et vit encore, divisé aujourd’hui en une multitude de tribus toujours jalouses, souvent ennemies les unes des autres et prêtes à s’entre-déchirer, mais qui formait autrefois une seule nation, et qui a gardé de son ancienne unité une langue commune, la même qu’il parlait du temps de Jugurtha : ce sont les Berbères, pour leur donner le nom sous lequel les Arabes les désignent, ceux que les Romains appelaient Maures et Numides, c’est-à-dire le fond indigène au-dessus duquel les nations du dehors sont venues s’établir, et qu’elles ont dominé et recouvert, sans le détruire.


II

L’indépendance a toujours été la passion des Berbères. Ce qui attache les Touaregs au désert, c’est qu’ils n’y peuvent pas avoir de maîtres. On a montré que la djemâa kabyle est de tous les gouvernemens le plus simple, le plus élémentaire, celui où le peuple s’administre le plus directement lui-même, sans avoir