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le différend avec l’Autriche au sujet de l’interprétât ion des traités de commerce. Les méfaits que la Chambre actuelle reproche à l’ancien ministère sont indéniables. Pour transformer, à la fin de l’année dernière, en un parlement conforme à ses idées, une Chambre qui, sauf une quinzaine de membres, ne contenait que des radicaux, le cabinet inopinément appelé aux affaires par le régent, M. Ristitch, se livra aux plus déplorables violations de la légalité.

La majorité toute factice, et d’ailleurs très faible, qu’il se procura par ces manœuvres, était en hostilité profonde avec l’opinion du pays, et nul ne saurait dire comment se serait terminée cette lutte impossible où l’on avait compromis la monarchie, si le coup d’État du roi Alexandre n’eût rendu la parole à son peuple. Cependant, quelle que soit l’issue du procès actuel, quelques garanties d’impartialité que présente le tribunal auquel il est confié, il est clair que les accusés ne sont pas seuls responsables des faits qu’on leur reproche, que l’ex-régent Ristitch en a sa bonne part, et qu’en tous cas l’opportunité de la poursuite demeure douteuse.

À l’extérieur, les relations sont assez aigres entre lu monarchie austro-hongroise et le jeune royaume mitoyen. L’influence autrichienne baisse en Serbie, tandis que l’influence russe monte. La délimitation de la frontière serbo-bosniaque fournit prétexte à l’échange de propos assez vifs ; on trouve à Vienne que le roi Alexandre s’occupe trop de l’histoire de son pays. Il est du devoir des deux gouvernemens de ne pas laisser dégénérer en conflit une querelle que la presse, jusqu’ici, soutient seule. Le patriotisme serbe, qui s’est cru un jour à la veille d’absorber la Bosnie et l’Herzégovine, doit avoir maintenant pris son parti de voir ces provinces passer sous le sceptre de l’Autriche, dont le protectorat s’est peu à peu transformé en annexion.

Les ministres de Roumanie donnaient, il y a quelques jours, à leurs voisins de Serbie, une leçon de sage politique, lorsque M. Lahovary, répondant au prince Stourdza, qui lui reprochait de ne pas intervenir auprès de la Hongrie en faveur des Roumains de Transylvanie, déclarait « qu’on ne doit pas demander l’impossible, qu’il faut avant tout songer à soi et ne pas s’immiscer dans les affaires des autres. » Les Bulgares ont eu des chagrins analogues et ils ont aussi été forcés de se résigner. En obligeant les petits États des Balkans à se fortifier, avant de grandir, la destinée leur est peut-être plus clémente qu’ils ne le pensent.


Vte G. D’Avenel.