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parfait des récoltes en terre ! » Hélas ! serions-nous menacés de deux bonnes années consécutives !

Les journaux d’opposition ne manqueraient pas d’en tirer grand parti contre le ministère ; on entendrait de nouveau les doléances de l’été dernier, où quelques organes exploitèrent habilement, contre la République, l’extrême sécheresse et l’énorme rendement des vignes, pour montrer qu’on ne pouvait rien attendre de bon d’un gouvernement qui privait d’eau la moitié de la France et qui inondait de vin l’autre moitié. On a parlé de fraudes commises dans les entrepôts, dont l’effet serait de diminuer l’importance du droit protecteur actuel. S’il y a des fraudes, qu’on les réprime ; mais qu’on se garde d’entraver, par des mesures intempestives, un commerce nécessaire ! Sous l’ancien régime, les négocians en grains étaient traités d’accapareurs ; on les accusait de faire hausser les prix et on les rendait odieux aux consommateurs des villes : aujourd’hui on les accuse de faire la baisse, et on les veut rendre odieux aux producteurs des campagnes. La vérité est qu’ils ne sont coupables ni de l’une ni de l’autre, et que la libre concurrence du commerce profite aussi bien aux vendeurs qu’aux acheteurs.

Nous voulons donc espérer que ni le ministère ni la majorité du Parlement ne suivront les protectionnistes aveugles qui espèrent, au commencement de la session prochaine, les entraîner dans une voie aussi funeste. Car, ou le droit nouveau n’aurait aucun effet sur les prix, et alors il ne profiterait en rien aux intérêts que l’on veut servir, ou il aurait pour résultat de faire hausser les cours du blé, et de quel droit l’État refusera-t-il ensuite aux ouvriers d’intervenir pour fixer le taux des salaires, si l’on prétend le faire intervenir ainsi, en faveur des détenteurs du sol, pour fixer le taux des subsistances ?

Il n’est pas vrai, comme on semblerait vouloir nous le faire croire, qu’il y ait un prix de revient certain et unique pour le blé ou pour les céréales en général. Tel nous donne 20 francs l’hectolitre comme un chiffre strictement rémunérateur. Qu’est-ce à dire ? Il est des terres qui rendent jusqu’à 40 hectolitres à l’hectare, et il en est qui ne rendent que 7 ou 8. Il en est de cultivées avec les derniers perfectionnemens des procédés scientifiques et d’autres où l’assolement et les engrais rappellent encore les méthodes décrites par Virgile. Si la constitution de ces dernières ne leur permet pas de suivre la marche du monde agricole, ce qui est possible, l’on cessera d’y cultiver le blé ; mais ou ne peut pas majorer les prix payés par toute une nation pour sa nourriture, à seule fin de permettre à quelques agriculteurs de demander à un guéret réfractaire une récolte insuffisante.

Le plaisant est que les orateurs qui réclament ou acceptent le relèvement des taxes sur les grains nous menacent toujours de cet épouvantail : la France, découragée, cessant de produire du blé ! C’est là