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exiger des satisfactions plus rapides et conserver moins de ménagemens.

Sans réclamer pour notre part une procédure sommaire que les circonstances n’exigent pas jusqu’ici, nous ne saurions trop recommander au gouvernement d’user avec une énergie démocratique des lois dont on vient de l’armer. La route lui est nettement tracée par le sentiment de la grande majorité du pays aussi bien que par la majorité des Chambres. Il n’est pas besoin d’être un « tigre à face humaine, » ainsi qu’une petite gazette socialiste qualifiait il y a quelque temps le Président de la République, pour regretter qu’un ministre ait pu être taxé de faiblesse par suite du retard apporté à l’arrestation de tel anarchiste bourgeois, véhémentement soupçonné de complicité dans l’explosion du Palais-Bourbon, et dont la fuite précipitée a justifié les soupçons dont il était l’objet.

Il existerait d’ailleurs une solution point impraticable du problème anarchiste que j’ose soumettre aux méditations des hommes d’État : des trente-neuf millions d’âmes que nous sommes dans le périmètre des frontières continentales de la République française, non seulement la majorité n’est pas parfaitement heureuse, mais même il n’y en a qu’un nombre absolument infime sans doute à trouver que tout est pour le mieux dans la société actuelle. Cependant les 999 millièmes d’entre nous s’accommodent de cette société dans laquelle le hasard les a diversement placés, et s’arrangent, tout en tirant le meilleur parti possible de leurs bras, de leur intelligence ou de leurs revenus, pour y passer les quelques dizaines d’années que la parcimonieuse nature a départies à chacun.

Moins d’un millième seulement, c’est-à-dire à peu près trente mille individus, si l’on en croit les statistiques, professent cette opinion que l’ordre de choses présent, étant radicalement mauvais, doit être radicalement anéanti afin de faire place nette à un autre. Les recrues de cette doctrine ne peuvent, en raison de leur quantité dérisoire, prétendre sérieusement nous faire la loi : mais, comme leur système consiste à nous épouvanter de temps à autre, en tuant les gens et en détruisant les choses, ils pourraient arriver à nous rendre l’existence pénible. Pour concilier nos goûts de bon ordre avec nos sentimens d’humanité, le mieux serait de nous séparer à l’amiable de ces quelques milliers d’anarchistes, en les mettant à même de fonder ailleurs une société qui réponde à leur idéal.

Nous avons en Asie et en Afrique des territoires immenses, vacans, salubres et fertiles : offrons l’une de ces colonies à ceux de nos compatriotes dont l’incompatibilité avec la France moderne est suffisamment démontrée. Faisons comme ces tribus primitives qui, lorsqu’elles ne s’entendaient plus, tiraient les unes à droite, les autres à gauche. Précisément le parti anarchiste inscrit sur son programme la négation