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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 décembre.

S’il était vrai que, selon le mot d’un humoriste, les opinions fussent comme les clous, sur lesquels plus on tape et plus on les enfonce, nous pourrions avoir quelque inquiétude sur les résultats pratiques des quatre lois que le Parlement avant de clore, le 21 de ce mois, sa session extraordinaire, a votées en vue de réprimer les attentats anarchistes. Heureusement le goût du martyre, déjà fort peu répandu chez ceux d’entre nous que soutient l’espérance d’une autre vie, l’est naturellement beaucoup moins chez ceux qui bornent à la vie présente toutes les aspirations de leur destinée. Moins nombreux qu’on ne le suppose seront donc les émules de Ravachol et de Vaillant qui, pour activer la réforme de la société, offriront la tête de leurs concitoyens, le jour où il sera bien avéré qu’en faisant ainsi un pacte avec la mort, c’est leur mort à eux et non pas seulement celle des autres à laquelle ils devront se résigner.

Nous avons entendu regretter, à cet égard, que les législateurs n’aient pas complété leur œuvre récente en déférant à la cour martiale le jugement de ces crimes d’une espèce toute nouvelle. Il est bien vrai que la longueur de la procédure et le système nerveux des jurés sont choses dont les avocats des coupables se flattent ouvertement de tirer parti. On attend qui ! la colère publique s’apaise, qu’une légère couche d’oubli s’étende sur l’indignation des premiers jours. On fait remarquer que le gredin n’a pas l’air méchant, que sa maîtresse s’en louait fort, et qu’il a toujours été bon pour sa mère. Cette tactique, que favorisent les formalités ordinaires de la justice criminelle, combinées pour enlever à l’action de la loi tout aspect de violence, fait cependant comprendre comment les sociétés primitives ont dû, pour ne pas périr,