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Il cédait sur les accessoires, sur les incidens, pourvu qu’on ne touchât au principal.

Ce fou avait dans l’occasion un merveilleux bon sens, une finesse de perception tout italienne, et cet idéaliste, quand il le fallait, se prêtait aux sages tempéramens. Il l’avait bien prouvé en créant le tiers-ordre. On avait pu le soupçonner de vouloir imposer à tout le monde les austérités de la vie apostolique ; il n’en était rien. Celui qui de ses mains faisait des nids aux colombes, et les invitait à multiplier sous le regard de Dieu, n’a jamais condamné ni la famille ni le mariage, et s’il ne voulait rien posséder, s’il exigeait de ceux qui entraient dans l’ordre des Mineurs qu’ils vendissent tout leur bien et le distribuassent aux pauvres, il admettait sans peine que ceux qui restaient dans le siècle fussent de bons chrétiens pourvu qu’ils prissent sur leurs plaisirs pour venir en aide aux misérables, « et que fermant leur cœur à la haine, ils l’ouvrissent aux malades, aux abandonnés. » Voilà ce qu’il exigeait des tertiaires. Il exigeait beaucoup plus de saint François, mais toute sa vie il mesura le vent à la brebis, et il pensait que Lucchesio, qui selon la tradition fut le premier frère de la Pénitence, avait rempli tout son devoir en ne distribuant aux pauvres que son superflu et en conservant sa maison avec un jardin et un âne. S’il haïssait la richesse, il ne haïssait point les riches : « Que tous les frères, est-il dit dans le chapitre II de la Règle, soient vêtus d’habits pauvres, et qu’ils les puissent rapiécer de sacs et autres pièces, avec la bénédiction de Dieu. Je les avertis, je les exhorte à ne pas mépriser ni juger les hommes qu’ils verront vêtus mollement, portant des habits de couleur, et usant d’alimens et de breuvages délicats ; mais plutôt que chacun se juge et se méprise soi-même ! »

Le même bon sens qui l’avait guidé dans l’institution du tiers-ordre, lui conseilla de demander à la papauté la consécration de son œuvre et un secours dont il ne pouvait se passer. Des contemplatifs, des ermites ont le droit de se gouverner comme ils l’entendent ; ils n’ont besoin de personne. Mais François avait fondé un ordre de prédicateurs et de missionnaires, et il ne serait arrivé à rien si le Saint-Siège lui avait refusé son assistance ; elle lui était nécessaire pour triompher de la jalousie et du mauvais vouloir des prêtres séculiers, qui lui interdisaient de prêcher dans leurs églises ; elle lui était plus nécessaire encore quand il envoyait ses frères en mission dans les pays étrangers. S’il fut ordonné diacre malgré lui, ce fut sans doute de son propre mouvement et de son plein gré qu’il demanda qu’un cardinal devint le protecteur, le patron des Franciscains. Sûrement il lui en coûta ; il lui parut dur d’aimer la souveraine perfection et d’avoir à compter avec les arguties ou les défaillances des imparfaits. Il savait que les protections s’achètent par des sacrifices, que l’homme qui reçoit doit se