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imprudence, lui fait dire Bonaventure, de remplir son imagination de belles formes, qui, se présentant plus tard à l’improviste, risqueront de réveiller le feu mal éteint de la concupiscence ! » Il disait aussi « que dans la société des femmes les faibles se perdent et les plus forts s’amollissent, que leur commerce est un poison dans du miel, qu’il affole jusqu’aux plus saints. » Il ne fut jamais un ascète farouche, et il est permis de penser que ces maximes austères ne furent point à son usage, qu’il recommandait à ses disciples les précautions nécessaires à leur faiblesse, sans que le médecin se crût tenu d’observer lui-même ses ordonnances.

Ses relations avec sainte Claire en font foi. Elle avait longtemps caressé l’espérance de manger un jour avec lui, il finit par se prêter à son désir. A la vérité ce sont les Fioretti qui le disent ; mais nous savons, par des témoins plus autorisés, que dans l’avant-dernière année de sa courte vie, il passa plus d’un mois auprès d’elle, à Saint-Damien, qu’on lui bâtit dans le jardin des Clarisses une cellule de roseaux, que ce fut là qu’il composa le fameux Cantique du Soleil. On rapporte aussi que dans sa dernière maladie il voulut revoir une dame romaine, Jacqueline de Settisoli, qu’il appelait en souriant frère Jacqueline, et à laquelle il avait fait présent d’un agneau élevé par lui. Il la fit prier de venir à la Portioncule ; ayant devancé son appel, elle y arriva comme la lettre partait, et elle y était encore lorsqu’il mourut. Les Bollandistes ont rejeté cette anecdote comme apocryphe, parce qu’ils la trouvaient inconciliable avec ses préceptes. Ne savaient-ils donc pas qu’il avait passé sa vie à étonner ses admirateurs ?

Je ne sais ce que l’abbé Le Monnier a pensé ajouter à la gloire de saint François en lui attribuant beaucoup de miracles. « Il fut investi par Dieu, nous dit-il, d’un pouvoir miraculeux qui s’est rarement rencontré au même degré. La nature entière, l’eau et le feu, les pois sons et tous les animaux, les hommes eux-mêmes, leurs maladies, leurs passions, jusqu’à leurs plus secrètes pensées, tout parut avoir été livré entre ses mains et reconnaître son empire. Il fut le thaumaturge, et, s’il était permis d’employer le mot que la Sainte Écriture applique à Moïse châtiant Pharaon, il devint, dirions-nous, le Dieu de l’Italie. » Tout porte à croire cependant qu’il ne s’avisa jamais d’en appeler à des signes pour justifier sa mission et qu’il n’accomplit des prodiges que malgré lui. Selon toute apparence, on l’eût rendu plus heureux en l’assurant qu’après sa mort ses frères observeraient fidèlement la règle qu’en lui annonçant que ses reliques opéreraient treize miracles à As sise, vingt-sept dans les villes de l’Ombrie et de la Toscane et bien d’autres encore en France et ailleurs.

Son vrai miracle, ce fut sa vie tout entière, qui n’a ressemblé à aucune autre. Peu importe qu’il ait exorcisé des démons, rendu la