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les charrier par d’impraticables sentiers jusqu’aux centres de consommation.

Dans de pareilles conditions, les récoltes, parfois trop abondantes, pourrissaient sur place faute de débouchés extérieurs, la production se réglait sur la consommation locale, rien n’incitant. à l’étendre, tout invitant à la restreindre. Brusquement ces conditions économiques sont renversées ; l’engorgement des récoltes fait place à un écoulement rapide et rémunérateur, la demande vient solliciter la production, lui apportant les capitaux nécessaires à son extension, éveillant l’amour du gain, créant des besoins nouveaux, ouvrant de larges voies à la circulation, de larges perspectives aux planteurs.

Au début de la colonisation, l’absence de mines d’or avait contribué, autant que la situation géographique de Puerto-Rico à l’ouest du grand courant de l’émigration européenne, à détourner d’elle les aventuriers espagnols que l’or seul tentait. Plus tard, l’île s’était lentement peuplée, non de Basques et de Galiciens, comme Cuba, mais de colons andalous, de goajiros, qui cultivaient eux-mêmes leurs champs, élevaient leur bétail et n’avaient guère que faire d’esclaves. Ici, tout attirait et retenait ces émigrans ; le pays semblait créé pour eux et eux-mêmes prédestinés à ce pays. Les Andalous sont, dit un proverbe local, les Gascons de l’Espagne, et, de fait, ils n’ont pas d’analogie avec les Castillans. Ils sont aussi gais que ces derniers sont réservés, aussi bavards que leurs voisins sont taciturnes et graves ; ils ont l’imagination vive et ardente, le langage imagé et coloré, fortement imprégné de mots arabes. Le sol qu’ils quittaient était, comme celui dont ils prenaient possession, riche en orangers et en citronniers, riche en huile, en vins exquis et en fruits, en miel et en raisins secs. Entre Alméria et Gibraltar, on cultive la canne à sucre et le coton, on élève ces magnifiques chevaux de race pure et de haute allure pour lesquels l’Andalousie est renommée.

A Puerto-Rico, les Andalous retrouvaient, favorisées par la fécondité du sol et la chaleur du soleil des tropiques, mêmes facilités d’existence et cultures analogues. Ils s’acclimatèrent facilement, se multiplièrent rapidement. Ils devinrent assez nombreux pour qu’en 1873 l’abolition de l’esclavage ne modifiât en rien les conditions économiques et pour n’avoir nul besoin de recourir à la main-d’œuvre et à l’importation des Chinois ou des Hindous. Gais et sociables, sans grands besoins et satisfaits de peu, ils se groupèrent, créant des agglomérations plus nombreuses qu’importantes ; ils varièrent les cultures, ne donnant à aucune de grands développemens pour les raisons que nous avons indiquées plus haut, mais se familiarisant avec toutes. Il en résulte que l’évolution qui se