Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
REVUE DES DEUX MONDES.

ticipe à une foule d’œuvres qui lui sont indifférentes ou même antipathiques.

Plus solide, au point de vue d’un Juif sensé, fut la gloire qu’il s’acquit par ses créations de villes nouvelles. Samarie, ville bien plus hellénique que samaritaine depuis Alexandre, avait été affreusement victime du fanatisme asmonéen. Pompée et Gabinius l’avaient déjà relevée. Hérode (27 av. J.-C.) en fit une ville splendide, qu’il appela Sébaste, du nom grec d’Auguste[1]. Il en augmenta beaucoup le périmètre et y installa six mille colonistes, vieux soldats et habitans des environs. Une superbe colonnade dominait la ville, et les restes s’en voient encore aujourd’hui.

Sa grande création de Césarée fut plus belle encore. Le port de Joppé était très mauvais ; la Palestine, alors comme aujourd’hui, avait besoin d’un grand port qui la dispensât d’être tributaire d’Acre pour communiquer avec l’Occident. L’emplacement de la petite ville sidonienne appelée tour de Straton, parut à Hérode plus avantageux. Il commença par un kæsarion ou temple de Rome et d’Auguste, le plus beau qu’il eût élevé, et dont les colonnes, bizarrement transportées de leur place, font aujourd’hui notre admiration sur la piazzetta de Venise[2]. Le temple, situé sur une colline au fond du port, était d’un effet admirable, surtout vu de la haute mer. Deux statues colossales y trônaient, celle d’Auguste en Jupiter olympien, celle de Rome en Junon. La dédicace s’en fit avec des jeux et une pompe extraordinaire, l’an 10 avant Jésus-Christ.

Le môle du port fut un chef-d’œuvre de construction, par la perfection du travail, les difficultés vaincues, le choix des matériaux, les raffinemens de commodité qu’il offrait aux gens de mer. Presque toutes les provinces avaient des villes du nom de Césarée[3]. Hérode donna ce nom à la première de ses créations. Ses vues politiques furent moins justes. Il voulut que la population de la ville fût composée par moitié de Juifs et de païens, vivant les uns à côté des autres, en pleine liberté, sous leurs lois. L’amixia des Juifs se vit ici par une triste expérience. Le Juif palestinien d’alors, comme maintenant le musulman, ne pouvait exister qu’en régnant sur ses voisins. La vie sociale dans Césarée fut impossible. Les rixes y furent continues ; les massacres,

  1. Aujourd’hui Sébastieh.
  2. Les deux colonnes de la piazzetta (une troisième est enterrée dans la vase, sous le débarcadère des gondoles) furent enlevées par les Vénitiens des décombres de Césarée.
  3. Suétone, Aug., 60.