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la force seule maintient l’île dans la dépendance de l’Espagne, et Key-West, sur la côte de Floride, est peuplée de réfugiés politiques cubains, attendant avec impatience l’heure de l’affranchissement. Leurs vœux sont ceux de toute la population de l’île, et les insurrections fréquentes qui éclatent, tantôt sur un point, tantôt sur l’autre, attestent la vivacité de ressentimens que la rigueur des répressions ne fait qu’aviver. Nul doute qu’avant peu Cuba ne devienne libre, et le mouvement économique qui l’entraîne de plus en plus du côté des États-Unis l’oriente aussi de plus en plus dans le sens d’une république autonome et politiquement, si ce n’est commercialement, indépendante.

Si La Havane est le grand centre social, industriel et commercial de Cuba, il n’est pas l’unique. Santiago de Cuba renferme 71 000 habitans, dont bon nombre de descendans de Français. La ville, encadrée de verdure, s’élève sur les flancs des collines et domine une belle rade que frangent des criques nombreuses et qu’un chenal étroit, mesurant 160 mètres dans sa partie la plus resserrée, met en communication avec la mer. Edifiée, comme Tanger, au sommet d’un plateau, Santiago offre l’aspect oriental de la capitale du Maroc ; ses rues, en pente rapide, se coupent à angles droits, bordées de maisons mauresques ; les villas multicolores, les parcs, les jardins, les promenades se déroulent en amphithéâtre ; mais la hauteur des collines et la chaleur excessive qu’elles condensent rendent insalubre ce cirque verdoyant, capitale d’un petit monde à part, situé à 800 kilomètres de la Havane, et séparé du nord de l’île par de vastes solitudes. Matanzas, plus peuplée encore que Santiago, compte 87 000 habitans. Ville plus américaine qu’espagnole, Matanzas est plus salubre que La Havane et Santiago. Edifiée, comme La Havane, sur les bords d’une baie profonde et dominée par le pic de la Cumbre, d’où l’œil embrasse un panorama grandiose, cette ville, la seconde de l’île et l’un des ports les plus fréquentés par les navires des États-Unis, est le centre d’abondans vergers et de riches plantations qui s’étendent jusqu’à Cardenas. Deux voies ferrées la relient à La Havane, et ce n’est pas l’un des traits les moins significatifs de l’évolution actuelle que ces voies construites par des capitaux américains, exploitées par des Américains et desservies par un matériel et des employés venus des États-Unis.

L’élément américain domine également à Cienfuegos, ville de 65 000 habitans et centre d’exportation du district des cinco villas, ou cinq villes : Trinidad, Santo Spiritu, Remedios, Villa-Clara et Segue-la-Grande, peuplées de 20 000 à 40 000 âmes. Sur la plage du port de Cienfuegos, l’un des premiers que visita Colomb, et théâtre de l’entrevue du « grand navigateur avec le roi mystérieux