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leur entrée, écrit M. Quatrelles, se promènent dans les couloirs, causent en fumant et envoient dans la salle leur part de bruit. D’autres s’accrochent aux persiennes dont ils relèvent les lames pour suivre tant bien que mal le spectacle. Si la porte est ouverte, ils s’entassent à l’entrée de votre loge, si bien que les dames ont sans cesse quinze ou vingt paires d’yeux braquées sur elles et autant de paires d’oreilles qui les écoutent. On arrive aux deux derniers étages par un escalier spécial. Au quatrième, se trouve une galerie appelée la Tertulia. La petite bourgeoisie occupe ces places en toilette de gala. Le cintre est réservé, aux nègres. C’est là que les filles d’Afrique, vêtues de couleurs claires, les cheveux encombrés de fleurs, assistent à la représentation. Les nègres, vêtus de blanc, cravatés de rouge, parés de chaînes énormes, font pendant au beau sexe noir. »

Transplantée dans le milieu insulaire et tropical de Cuba, la race espagnole s’y est modifiée, autant par le fait du changement de climat et des conditions d’existence autres que dans la mère patrie, que par la superposition à des races inférieures et par les croisemens de sang. Elle est devenue cubaine de même que la race française devient créole aux Antilles. Les traits primitifs et caractéristiques persistent, parfois même s’accentuent, d’autres s’effacent et disparaissent ; l’ensemble s’altère et une race hybride surgit qui n’a plus avec la race première que de lointaines affinités. Et là ne se bornent pas les divergences dues aux changemens de milieu ; elles s’étendent et se ramifient. Entre le Cubain, le Mexicain, le Chilien, le Péruvien, l’Argentin, on les peut noter, nonobstant la communauté d’origine. Ici, la note dominante est l’indolence et la langueur dans les hautes classes, la paresse et l’oisiveté dans les basses, l’amour des fêtes, des plaisirs, du jeu, de la loterie, chez tous. Ces traits sont communs d’ailleurs à la plupart des races tropicales : ils sont ceux qui, tout d’abord, frappent le visiteur, comme aussi l’hospitalité noble et la politesse un peu emphatique du Castillan.

Par un côté, surtout et non le moins caractéristique, le Cubain se rattache aux colons espagnols des trois Amériques. Si fier qu’il soit, ainsi qu’eux, de sa descendance, il n’a, non plus qu’eux, l’amour de la mère-patrie, ni le culte de ses institutions. Sur ce sol du Nouveau-Monde, peuplé par les émigrés du nôtre, les traditions monarchiques n’ont pu prendre racine. De même que nous avons vu les royalistes virginiens des États-Unis répudier, dès la seconde génération, le loyalisme de leurs pères et s’armer contre l’Angleterre pour conquérir leur indépendance, de même les Espagnols américains ont renié la foi politique de leurs ancêtres et versé leur sang pour s’affranchir du joug de la métropole. À Cuba,