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tentative pacifique les agressions de l’avenir. En ce sens, l’ambassade avait atteint son objet : elle avait posé nettement la question d’alliance, gêné la marine britannique, démasqué la neutralité fallacieuse qui favorisait les projets anglais, et préparé les revendications qui devaient suivre les victoires de l’empereur. Junot avait donc servi les intentions de son gouvernement. Aussi-avec une logique reconnaissante, est-ce à lui que Napoléon, dix, huit mois plus tard, remettait le soin de conduire, c’est-à-dire d’imposer par la force des armes ce que la diplomatie n’avait pu obtenir. Il eut cette singulière destinée de revenir en conquérant dans ce royaume que ses noies diplomatiques n’avaient pu convaincre et de renverser le prince auprès duquel il avait été accrédité.

Il est vrai que, dans l’intervalle, les efforts de M. de Rayneval avaient été non moins infructueux que les siens, et que même Austerlitz, Iéna, Friedland n’avaient pu amener le cabinet de Lisbonne à se séparer ouvertement de celui de Londres. On se trouvait en présence d’une situation dominée par la force des choses, car il était évident que Napoléon, vainqueur de l’Europe coalisée, ne s’arrêterait pas devant les hésitations du prince régent. On sait le reste : l’ultimatum d’août 1807, le rappel du chargé d’affaires, la marche rapide de notre armée, l’audacieuse entrée de Junot, le 30 novembre, à la tête d’une avant-garde de 1500 hommes dans la capitale du Portugal, le départ de la famille royale pour le Brésil. C’étaient là de brillans exploits, une héroïque aventure militaire, mais rien de plus. Un prochain avenir devait démontrer que la victoire, souvent, n’est pas moins impuissante que la diplomatie : Junot, deux fois de suite, sur l’ordre de l’empereur, s’était heurté à l’impossible. Le nœud gordien était tranché, mais il se reformait au-dessous de l’entaille du sabre, et la triomphante entreprise du général ne devait pas être moins stérile que la mission de l’ambassadeur.


Cte Charles de Mouy.