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Il alla donner connaissance de ces nouvelles belliqueuses au prince régent, qui s’en montra fort ému, et à bon droit. Sans doute des intérêts autrement considérables que ceux du Portugal étaient en jeu dans la lutte qui se préparait, mais la destinée de la dynastie de Bragance était subordonnée à la fortune des armes : le régent n’osait se flatter de nos revers, et notre victoire lui devait imposer soit la vassalité, soit la chute.

Quant à Junot, avant tout il était soldat. Prisonnier de guerre en Angleterre au moment de la bataille de Marengo, le héros du combat de Nazareth n’entendit pas être encore une fois absent un jour de bataille. Nous avons dit que l’empereur s’était engagé à le rappeler en cas de guerre ; Junot, dès les premiers bruits de la coalition, lui avait écrit pour lui remettre sous les yeux cette promesse. Le 22 septembre 1805, M. de Talleyrand lui adressa la dépêche suivante : « Sa Majesté m’a donné l’ordre de vous faire connaître sans délai que son intention est que vous vous rendiez en toute diligence à Paris. Vous devez quitter Lisbonne sans affecter aucun grave motif de départ, et dire simplement que vous avez obtenu un congé que vous aviez antérieurement demandé[1]. » Cette lettre, accompagnée d’un billet affectueux de Duroc conçu dans le même sens, combla de joie le général : « Je prie Votre Excellence, répondit-il aussitôt au ministre, de vouloir bien mettre aux pieds de Sa Majesté mes respectueux remerciemens de ce qu’Elle a bien voulu se rappeler qu’à l’extrémité de l’Europe il y avait un de ses plus fidèles sujets qui, dans les circonstances actuelles, se serait trouvé bien malheureux d’être aussi éloigné de sa personne[2]. »

Il se hâta d’expédier les affaires urgentes ; mais, quelque grand que fût son généreux désir d’être sur le champ de bataille, il ne délaissa point jusqu’au dernier moment les intérêts politiques qui lui étaient confiés. Il regarda comme un devoir d’exprimer encore une fois la pensée de son gouvernement, de protester de nouveau contre le concours que le prince régent continuait à donner sous-main à la marine anglaise et d’adresser au Portugal un avertissement solennel. Il écrivit donc à M. d’Araujo une note remplie d’informations sur la conduite des autorités portugaises, sur les approvisionnemens fournis à la marine britannique dans tous les ports du royaume, sur les facilités accordées au commerce de l’ennemi, sur les renseignemens transmis aux amiraux anglais par les populations maritimes.

  1. Archives des Affaires étrangères. M. de Talleyrand à Junot, 22 septembre 1805.
  2. Ibid. Junot à M. de Talleyrand, 10 octobre.