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réussi à découvrir leur retraite. Costobare, qui menait à la fois beaucoup d’intrigues, avait épousé Salomé, la sœur d’Hérode ; un jour, fatiguée de son mari, Salomé révéla tous ses secrets à Hérode, qui fit sur-le-champ mettre à mort Costobare et les fils de Baba. Il n’y avait plus désormais un seul descendant des Hyrcan qui pût lui faire ombrage ou, comme dit l’historien juif, s’opposer aux violations de la Loi.

Selon les Juifs, ce moment de la vie d’Hérode marqua dans son existence un progrès dans la perversion, en ce sens que jusque-là il avait gardé quelques apparences de judaïsme, et que désormais sa vie fut une injure à la religion et aux lois du pays. C’est là une appréciation juive. En tout temps, la vie d’Hérode fut une injure aux lois morales. Ce qu’il y eut de nouveau, quand il n’eut plus rien à craindre pour son trône, c’est qu’il récolta les fruits du crime, qui sont, dans l’ordre politique, tout différent de l’ordre moral, un pouvoir fort, la prospérité, l’art. Les vingt ans qui vont suivre sont d’un caractère qui ne s’était pas vu depuis Salomon. Tenant moins compte des préjugés juifs, Hérode s’engagea, hors de la Loi, en effet, dans ce qui est le couronnement d’un pouvoir établi, les grands travaux d’art et d’utilité publique, les œuvres toutes profanes qu’on ne pouvait guère accomplir sans manquer à la Loi. Nous serions indulgens pour ces manquemens, si, d’un autre côté, ces œuvres n’eussent été en réalité bâties sur le sable, la vocation du peuple n’étant pas de cette nature et l’appelant ailleurs.

Comme Octave, Hérode était sorti de la période des cruautés nécessaires ; il passait à l’ère des œuvres brillantes, qui font tout pardonner.

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Pour se justifier d’avoir fait massacrer les janissaires, Méhémet-Ali ne disait qu’une seule chose : « Si je ne les avais pas tués, ils m’auraient tué. » C’était vrai. Pour être, il faut détruire son ennemi : sans cela il vous détruira. Les meurtres odieux d’Aristobule, de Mariamne, étaient la condition de ce qui va suivre. Vouloir Hérode sans ses crimes, c’est vouloir le christianisme sans ses rêves, la révolution « sans ses excès ». Certainement, si Hérode n’eût pas supprimé Alexandra, Alexandra l’eût supprimé. Maintenant, grâce à l’extermination des derniers Asmonéens et à l’amitié d’Auguste, il est vraiment roi. Il va passer aux œuvres qui pèsent lourdement sur les peuples, mais font ce qu’on appelle les grands souverains.