Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
LES JUIFS SOUS LA DOMINATION ROMAINE.

par derrière, l’atroce Salomé lui disait tous les jours : « Il faut la tuer. » Pendant ses absences, il avait coutume de charger un homme de confiance de l’observer et de la faire mourir s’il ne revenait pas[1]. Il avait paru, en particulier, craindre qu’Antoine ne songeât à prendre la femme qu’il aurait laissée veuve par sa mort. Hérode aurait dû être rassuré par le caractère fier et digne de Mariamne. Mais il est sûr qu’en politique la conduite d’Alexandra et de Mariamne était de nature à justifier tous les soupçons. Ces deux femmes semblaient courir d’elles-mêmes à leur perte. Dans une espèce de conseil privé, Hérode fit condamner à mort la femme qu’il adorait. Alexandra, dans cette circonstance, fut hideuse. Voyant qu’un sort semblable la menaçait, elle voulut détourner le coup, feignant de ne partager en rien les sentimens de sa fille. Au moment où on la conduisait au supplice, elle sortit furieuse, se jeta sur la malheureuse, la frappant au visage, lui tirant les cheveux, l’appelant mauvaise femme, ingrate, qui n’avait que ce qu’elle avait mérité. Ce fut dans la foule un cri d’horreur. Mariamne ne dit pas un mot, ne changea pas de couleur. Elle mourut sans vouloir regarder sa mère.

Hérode avait obéi, en cette circonstance, à sa folle dureté. Après le supplice, sa passion se réveilla ; dans son délire amoureux, il croyait voir présente la femme qu’il adorait et qu’il avait tuée. Il lui parlait, l’appelait, donnait ordre de la faire venir. Pour s’étourdir, il se jeta dans des débauches sans nom, dans une furie de chasses et de courses éperdues. Il faillit en mourir à Samarie. Le bruit de sa mort se répandit à Jérusalem. Alexandra voulut en profiter pour prendre le pouvoir[2]. Elle chercha à gagner les commandans des deux forteresses de Jérusalem. Hérode enfin la fit tuer (28 av. J.-C.). Il revint à la santé, mais conserva une étrange irritation physique et morale. Sous le moindre prétexte, il envoyait au supplice ses serviteurs, ses meilleurs amis. Tous les despotes orientaux suivent, comme des machines lancées, la même pente fatale.

L’ambitieux cependant survécut. Tandis qu’il exista un reste des Asmonéens, Hérode ne put demeurer en repos. Une famille parente, ce semble, des Asmonéens s’était signalée, sous Antigone-Mattathiah, par son zèle légitimiste ; on les appelait « les fils de Baba ». Au moment du danger, un riche Iduméen, Costobare, les avait sauvés, et depuis douze ans, Hérode, malgré ses soupçons, n’avait pas

  1. Les deux récits de Josèphe, Ant., XV, II, 5, et XV, VI, 5, sont sûrement des doublets d’un même récit, provenant de sources différentes, que Josèphe, selon un procédé très ordinaire dans la rédaction des Évangiles, a juxtaposés.
  2. Autre doublet peut-être entre Jos., Ant., XV, III, 7, et XV, VII, 8.