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à Amsterdam, tandis qu’il allait, dans l’espoir de fléchir Napoléon, le retrouver à Milau où s’apprêtaient les fêtes du couronnement. Junot et sa femme avaient l’un et l’autre connu Jérôme tout enfant ; ils lui conservaient une amitié sincère ; l’entrevue fut extrêmement affectueuse et l’entretien confiant et long. La situation était délicate : Jérôme, passionnément épris de sa jeune femme, semblait décidé à tout braver plutôt que de l’abandonner ; ses sentimens nobles et romanesques, la chaleur de son langage, sa tristesse, ses illusions touchèrent vivement ses interlocuteurs ; mais Junot, représentant de l’empereur, ne pouvait se laisser aller à son émotion ; il devait recommander la soumission aux volontés de son souverain, et il le fit en termes généraux, ne pouvant préjuger d’avance quelle serait en définitive l’étendue des sacrifices que Napoléon exigerait de son frère. L’ardeur de Jérôme n’était, au surplus, que factice ; après avoir parlé d’abord avec l’enthousiasme d’un amoureux, il n’approfondit pas beaucoup la question majeure et parut bientôt désireux avant tout de regagner l’amitié de l’empereur. Junot s’empressa de faire connaître ces dispositions à M. de Talleyrand par une lettre particulière : « Il est convenu avec moi de ses torts, et me parut très décidé à les réparer… il m’a ouvert son âme tout entière et j’y ai lu la détermination positive où il est de recouvrer, à quelque prix que ce soit, les bontés de Sa Majesté[1]. » Néanmoins, le général ne pensait pas qu’il dût subir si promptement l’ascendant impérial ; sa femme, au contraire, devinant que l’autorité du maître et aussi les séductions de la cour, les solennités du couronnement, l’attrait de l’ambition, exerceraient une influence irrésistible sur un caractère faible et versatile, n’avait pas douté du dénoûment.


VII

Les instructions relatives à la mission de Junot en Portugal sont signées de M. de Talleyrand et datées du 16 février 1805. Il n’y est fait aucune allusion aux pourparlers de Madrid ; elles visent exclusivement les démarches que devait faire l’ambassadeur auprès du cabinet de Lisbonne. Après avoir retracé, en remontant jusqu’au XVe siècle, la prospérité du Portugal au temps de son indépendance et constaté la décadence commerciale et politique qui avait été la conséquence de ses rapports intimes avec l’Angleterre, le ministre en venait à la situation présente. Il rappelait le traité de vendémiaire an X et la convention conclue par

  1. Arch. des Affaires étrangères, floréal an XIII.