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de sa cour, et aussi sur les devoirs d’une femme placée dans une situation diplomatique : « Une ambassadrice, lui dit-il, est une pièce plus importante qu’on ne croit dans une ambassade… Ne soyez pas haute, encore moins susceptible… Vous êtes moqueuse, vous aimez à raconter ; soyez circonspecte, j’entends par là point bavarde, caillette ; recevez beaucoup ; que votre maison soit agréable à Lisbonne comme elle l’était à Paris, lorsque vous y étiez Madame la Commandante ; mais qu’on s’y amuse avec dignité. Vivez en bonne harmonie avec vos camarades diplomatiques, mais ne formez de liaisons avec aucune[1]. » Ces sages observations adressées à une jeune femme, qui d’ailleurs les a écoutées et retenues, résument sous une forme familière ; les principaux devoir d’une ambassadrice ; elles semblent aussi indiquer que l’empereur croyait, alors envoyer Junot pour un temps assez long ; qu’il se flattait de persuader le prince régent ; et ajournait en tout cas à une époque indéterminée les dispositions belliqueuses dont il faisait parade à la fois pour intimider le Portugal et tenter les convoitises espagnoles.


IV

Junot hâta autant que possible ses préparatifs. Il emmenait avec lui son aide de camp, le colonel de Laborde, M. de Rayneval et un secrétaire particulier ; sa femme et sa fille encore tout enfant l’accompagnaient avec beaucoup de monde et de bagages. le départ eut lieu le 26 février 1805. Ce n’était pas alors une petite affaire que d’accomplir le voyage de Paris à Lisbonne. Mme Junot a laissé dans ses Mémoires le récit de toutes les difficultés et lenteurs qu’il fallut subir. Les chemins étaient horribles : sa voiture cassa cinq fois de Paris à la frontière ; il fallut s’arrêter deux jours à Angoulême, autant à Bordeaux, et l’on en mit quatre pour aller de cette ville à Rayonne. On devait accepter en même temps les obligations d’un voyage d’apparat, l’empereur ayant voulu que le premier ambassadeur envoyé depuis son avènement fût reçu partout avec solennité. Des salves de coups de fusil, parfois même d’artillerie, des harangues de fonctionnaires, signalèrent le passage dans les principales villes ; il y eut nombre de réceptions et de banquets, si bien que Junot, qui savait sa mission urgente, résolut, en arrivant à Bayonne, de rattraper le temps perdu et de ne pas subir les longs ennuis d’une route à petites journées en Espagne. Laissant en arrière sa famille et son convoi de fourgons, de

  1. Mémoires de la duchesse d’Abrantès, t. V.