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d’une mission confidentielle auprès du gouvernement espagnol. Cette nouvelle négociation se rattachait, il est vrai, par des liens étroits à celle qu’il avait à conduire en Portugal, mais elle visait aussi, comme on va le voir, un objet spécial, particulièrement intéressant pour les vastes projets combinés en ce moment même par le cabinet impérial. La coopération de l’Espagne à ces plans était en effet non moins nécessaire, si ce n’est plus, que le concours du cabinet de Lisbonne.

L’Espagne était alors, non seulement amie, mais alliée de la France à la suite du traité de 1796, des actes diplomatiques de 1800 et de 1801 relatifs à Parme et à la Toscane, de la convention de 1803 conclue en vue de la rupture éventuelle de la paix d’Amiens, et surtout de la convention du 4 janvier 1805 qui unissait les forces navales des deux pays contre l’Angleterre. C’était l’exécution de ce dernier acte qui préoccupait vivement l’empereur. La formation du blocus continental et aussi le succès des grandes opérations maritimes destinées à favoriser la descente en Angleterre, dépendaient en partie de l’action prompte et dévouée des escadres espagnoles. Sans doute le Portugal devait s’associer, selon ses ressources, à une politique qui s’appliquait à toute l’étendue des côtes de la Péninsule ; il importait que le cabinet de Madrid usât de son influence à Lisbonne pour persuader le prince régent et au besoin pour le contraindre, et Junot, avant d’arriver à son poste, avait grand intérêt à être certain de l’appui du gouvernement espagnol auprès de la cour portugaise ; mais le premier but à atteindre était la mise en état immédiate des flottes de l’Espagne et leur jonction avec les nôtres. Napoléon gardait des doutes sur l’empressement du roi Charles IV et du prince de la Paix, et considérait comme nécessaire qu’une pression fût exercée sur leurs résolutions. Le passage de Junot par Madrid lui parut donc une occasion naturelle pour une énergique insistance, et sans l’accréditer officiellement auprès de Sa Majesté Catholique, puisque le poste n’était pas vacant, il lui donna l’ordre de transmettre de sa part les injonctions les plus catégoriques au cabinet de Madrid. C’était donc en réalité une ambassade préliminaire dont Junot se trouvait chargé avant de se rendre à Lisbonne.

L’ambassadeur de France en Espagne était, depuis deux ans, le général Beurnonville, ancien ministre de la guerre de la convention, et qui en cette qualité avait été le chef hiérarchique de son souverain ; le premier consul l’avait nommé à Madrid en considération de ses services passés, mais, depuis son avènement à l’Empire, il le tenait à distance et n’entendait pas l’initier aux détours de sa politique : « Il jouit de ma confiance pour les