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pouvait douter qu’il refusât de s’y soumettre en présence d’une guerre qui menaçait d’être longue et terrible. Le gouvernement français aima mieux être prudent, ne pas compliquer ses affaires, ajourner ses exigences et se donner le mérite de la modération, en s’assurant d’ailleurs un avantage pécuniaire assez considérable : il consentit à transformer la clause de 1801 en un subside ; total de seize millions fourni par le Portugal et payable par fractions mensuelles. En revanche, il accorda le maintien de la neutralité. Ce terme, assez équivoque, ne fut pas défini avec précision, et l’on ne tarda pas à voir qu’il était diversement interprété par les deux parties. Quoi qu’il en soit, le général Lannes fut autorisé à traiter sur ces bases, et la convention du 19 mars 1804 nous donna en outre d’importantes facilités commerciales consignées dans un tarif annexe. On sembla satisfait, tant à Paris qu’à Lisbonne, par ces arrangemens ; le prince régent crut avoir ainsi désintéressé la France sans blesser l’Angleterre, et le cabinet des Tuileries se flatta que la neutralité, étant appliquée dans un sens favorable aux intérêts français, gênerait sensiblement les combinaisons de la marine anglaise. Des mesures gracieuses et des complimens parurent attester de part et d’autre l’oubli des anciennes querelles et la stabilité de l’entente. D’abord un diplomate portugais, qui avait longtemps séjourné à Paris où il avait laissé de bons souvenirs, M. d’Araujo, alors ministre à Berlin, fut appelé à Lisbonne pour y prendre les portefeuilles des affaires étrangères et de la guerre. Le premier consul le reçut, à son passage, avec la plus affable courtoisie, ne doutant pas qu’il ne prît une in fluence prépondérante dans les conseils de la couronne, et n’écartât toute réminiscence de l’alliance britannique. Peu après, le prince régent accueillit la proclamation de l’Empire avec toutes les démonstrations imaginables de joie et de sympathie ; il adressa au général Lannes, élevé à la dignité de maréchal, les félicitations les plus chaleureuses ; en outre, les deux gouvernemens décidèrent de conférer à leurs représentais réciproques le titre d’ambassadeur.

Ajoutons, pour compléter ce tableau, que le maréchal Lannes, quelque peu ébloui par tant de démonstrations et s’exagérant singulièrement son influence, fit savoir à l’empereur qu’à son avis il lui serait facile de convertir la neutralité en alliance offensive et défensive. D’après lui, le Portugal, ému des bruits de guerre qui se propageaient en Europe, serait heureux de chercher en France un point d’appui qu’il craignait de ne plus rencontrer ailleurs. C’était là une insinuation prématurée : quels que fussent ses intentions pour l’avenir, Napoléon « désirait se borner à la neutralité »,