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« non-seulement d’être acteurs, mais d’entendre ou voir ces pièces » ; ils violent la défense ; ils jouent dans les « interludes » ; ils vont les voir ; « tout prêtre qui prétend à une vie sainte et se mêle de ces pièces n’est qu’un hypocrite et un menteur. » La passion pour ces divertissemens est si forte que les bourgeois deviennent avares pour tout le reste afin d’économiser en vue de la représentation et des débauches qui s’ensuivent ; « ils rechignent à payer une dette, mais non à dépenser le double pour leurs pièces. » Les marchands fraudent dans leurs ventes, toujours en vue des représentations de mystères.

Maints documens confirment ces déclarations et montrent l’exactitude du tableau. Le goût des prêtres pour le drame et autres amusemens est condamné par le concile de Londres en 1391. Cent ans plus tôt, un Anglais, dans un poème qu’il rédigea en langue française avait signalé déjà les mêmes abus, et on voit par là combien ils étaient enracinés. Une autre folie, dit William de Wadington, a été inventée par les clercs fols ; c’est ce qu’on appelle des Miracles ; malgré les décrets ils se déguisent au moyen de masques, « les forcenés » ! Sans doute le drame purement liturgique est permis (ce qui nous montre qu’il existait en Angleterre comme en France) ; on peut faire certaines représentations dramatiques ; « mais que ce soit chastement, en office de sainte Église » ; c’est ainsi qu’on figure la mise au tombeau et la résurrection « pour plus avoir dévotion. » Mais « faire de folles assemblées en les rues des cités, ou dans les cimetières après manger, » organiser pour les fols ces lieux de rendez-vous, la chose est bien différente, et si l’on nous dit « que ce soit fait pour l’honneur de Dieu. » n’en croyons rien ; c’est à l’honneur du diable. Il faut refuser aux acteurs de leurs prêter chevaux et harnais, habits, ornemens divers : car le théâtre d’alors vivait d’emprunts ; et malgré les défenses, malgré l’exemple des chapes de Saint-Alban brûlées, il continuait d’employer des vêtemens d’église. « Si les vêtemens furent consacrés, dit William, le péché est encore plus grand, » le prêtre ou le clerc qui consent au prêt mérite châtiment, il commet un sacrilège. Dans tout ceci, dans tous les divertissemens publics, danses et folies de toute sorte, une lourde responsabilité échoit aux ménestrels, « car ils ont un métier trop périlleux ; ils font oublier Dieu et aimer la vanité du siècle. »

Beaucoup de ces drames anglais autrefois si populaires nous sont parvenus. Indépendamment des pièces existant à l’état séparé, histoires de saints (très rares) ou épaves d’anciennes séries, plusieurs collections subsistent, jadis propriété de guilds ou de municipalités. Nombre de villes se donnaient ces spectacles, qui