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pas de pain à donner à leur famille ». Les braves gens qui les écoutent savent bien que ces chiffres sont faux, mais à la pensée que des fortunes se sont parfois accumulées dans des mains subalternes, ils admettent volontiers que les uns ont trop et eux pas assez. Personne n’est là pour leur dire que ces concessions houillères n’ont pas toujours enrichi les concessionnaires, que dans les plus prospères il a fallu souvent attendre dix ans avant de toucher des intérêts ; enfin que c’est la loi générale que les biens de toute sorte, et les salaires eux-mêmes, aient suivi une progression constante depuis un siècle. Le loyer de la terre, si abaissé qu’il soit en ce moment, n’est-il pas quatre et cinq fois plus élevé qu’à la fin du XVIIIe siècle ? Le prix des terrains dans Paris n’a-t-il pas augmenté dans une proportion qui atteint et dépasse souvent le centuple ? L’ouvrier qui gagnait une livre il y a cent ans ne gagne-t-il pas 5 et 10 francs aujourd’hui ? Les exploitations houillères, si difficiles, si scabreuses, si sujettes à des accidens qui les ruinent, ne doivent pas être soustraites à la loi générale. Aux prix actuels de leurs titres elles ne produisent guère qu’un intérêt de 1 p. 100 dont ne se contenteraient ni les cabaretiers des mines ni même l’épicier de Bruay qui ont voté la grève. Il manque à la production de la France environ 10 millions de tonnes de charbon que la consommation est obligée de demander à l’étranger. Pour s’affranchir de ce tribut payé à l’Angleterre, à la Belgique et à l’Allemagne, il ne faudrait pas moins de 50 000 ouvriers et de 300 millions. Pense-t-on qu’il serait facile de réunir de tels capitaux alors que la concurrence étrangère limite les bénéfices et que la situation actuelle est de nature à effrayer l’épargne plutôt que de l’appeler ? Une industrie qui est soumise à des chômages triennaux et instantanés n’a rien pour tenter les économies, et il serait à désirer que les hommes qui appliquent leurs talens à entretenir ces crises tissent une œuvre bien meilleure en s’efforçant d’y mettre fin. Cette fois ils auront peut-être atteint ce but sans le vouloir. Quelques-uns des députés venus de Paris pour dégager leurs deux collègues du mauvais pas où ils s’étaient aventurés ont prononcé des paroles qui ont sonné assez mal aux oreilles de leurs auditeurs ; ils ont parlé de retrait de concessions, de « nationalisation » des richesses minières, ce qui sans doute sous un très vilain mot indique la spoliation par l’Etat. L’Etat, déjà marchand de tabac et d’allumettes, deviendrait marchand de charbon. C’est une perspective qui ne sourit pas du tout aux mineurs : il n’y aurait plus de grèves possibles, puisque l’Etat n’admet pas que ses employés aient recours à la grève pour améliorer leur sort ou pour se faire rendre justice. Avec l’Etat pour maître, le mineur ne pourrait même plus demander le renvoi