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avaient quitté la mine pour d’autres professions ; ils se sentaient humiliés de voir autour d’eux des fortunes s’élever, de petits ingénieurs devenir de grands personnages, des actionnaires se bâtir des châteaux, des directeurs recevoir de gros appointemens ; mais rien ne les touchait plus vivement que de se sentir dirigés, contenus et parfois molestés par d’anciens camarades devenus porions, chefs porions ou employés supérieurs dans l’administration. Ces blessures d’amour-propre ne se pardonnent pas. Il est juste d’ajouter que souvent les administrations minières avaient abusé de leur autorité pour peser sur les ouvriers dans les élections communales ou politiques. On n’a pas oublié le temps où les porions conduisaient leurs hommes au scrutin et leur remettaient à la porte des comices le bulletin qu’ils devaient déposer dans l’urne. Ces temps-là sont loin de nous. Ce ne sont plus les agens de la mine qui mènent les hommes au scrutin, ce sont les délégués du syndical, et l’on peut affirmer que, pour ne pas être plus libres qu’autrefois, ils sont encore plus étroitement surveillés. Le troupeau n’a fait que changer de berger.

Parmi les plaintes secondaires que dans les nombreuses séances du syndical les délégués ont fait entendre, il en est une qui continue ce que nous venons d’exposer. Ils demandaient un peu plus de respect de la part du chef envers les ouvriers qu’il commande. Ce respect que l’ouvrier veut avec raison obtenir pour lui-même, il serait désirable qu’il l’accordât aussi à ses chefs ; ce n’est pas l’ordinaire, croyons-nous. Si nous prêtons l’oreille aux discours qui se font entendre, nous y recueillons les plus grossières injures qu’un homme puisse prodiguer à un autre homme. Les mots sont même détournés de leur sens, et on leur fait subir une torture injurieuse ; quand on les applique à ces chefs dont on réclame le respect. Les ouvriers qui ne travaillent pas sont des courageux, des braves ; ceux qui travaillent sont des « fainéans » des traîtres. Il est loyal et juste d’empêcher les camarades de descendre dans les puits ; il est déloyal et criminel aux agens des compagnies de les engager à y descendre ; ce sont « manœuvres odieuses ». Ceux qui se mettent deux cents pour contraindre les autres à faire avec eux des patrouilles remplissent leur devoir, ceux qui résistent et s’exposent aux coups des grévistes sont des lâches. Les directeurs de mines sont des « exploiteurs », eux et leurs actionnaires sont des « videurs ». Ces violences de langage émaillent les harangues prononcées depuis le commencement de la grève ; elles ne justifient pas les porions et autres agens qui traitent un peu trop leurs subordonnés comme ils ont été traités eux-mêmes avant de s’élever au rang de chefs. En général, ce sont des ouvriers de choix qui arrivent à ces postes de confiance,