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parmi ces peuples si respectables qui, après avoir rendu de grands services à la civilisation, semblent se retirer des affaires internationales et se reposer dans la contemplation du passé : le Portugal, qui a découvert un monde ; — la Hollande, cette antique gardienne des libertés de l’Europe, borne extrême contre laquelle ont échoué tous les despotismes ; — la Suède, ce soldat de la Réforme sans lequel l’Allemagne protestante ne serait jamais sortie du néant ; — le Danemark, si héroïque, hier encore, sur son Danebrog, et défendant seul l’indépendance des petits peuples, comme il avait défendu seul, jadis, les droits des neutres sous les bombes des Anglais ; — la Suisse enfin, c’est-à-dire trois races unies sans se confondre, exemple admirable d’une âme nationale indépendante des fatalités d’origine. Non seulement on trouverait chez ces peuples l’amour de la patrie aussi vif qu’autrefois, mais on constaterait qu’il s’est propagé depuis la tête jusqu’aux plus humbles membres de chaque nation ; de sorte que, si le patrimoine de gloire ne s’est point accru par de nouvelles acquisitions, il est cependant devenu plus populaire, et par suite plus inviolable. La Hollande ne s’appelle plus « Leurs Hautes Puissances les États généraux ; » on ne connaît plus en Suisse les privilèges féodaux de « Messieurs de Berne » ou de la ligue des Grisons, ni la rigueur théocratique du conseil de Genève. En Portugal ou en Suède, le soin des intérêts du pays n’est plus un privilège aristocratique. Mais qu’une grande puissance menace, même de loin, leur indépendance, et l’on ne verra pas ces peuples abandonner leurs nobles ou leur gouvernement, comme cela se faisait naguère. Une prétention de l’Angleterre en Portugal, une note allemande en Suisse, soulèvent aujourd’hui plus de tempêtes que ne faisait jadis le séjour d’une armée étrangère. Chacun prend sa neutralité au sérieux et s’arme de son mieux pour la défendre.

Tant il est vrai qu’en politique extérieure, le grand fait du siècle est la renaissance ou le développement de l’esprit national.


II

En présence d’un mouvement si général et si soutenu, la diplomatie avait trois partis à prendre : le combattre, — l’exploiter, — ou le servir. C’est ce qu’elle a fait tour à tour, avec un succès fort inégal.

Elle a d’abord combattu le mouvement national sous toutes ses formes. Ce système porte un nom dans l’histoire : il s’est appelé la Sainte-Alliance. Il est si connu qu’on n’a pas besoin d’insister. Quoique battu en brèche, il a tenu bon jusque vers le