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ne le sont du moins que de nom, pour les besoins de leur candidature, ou très partiellement. Ils ne feraient campagne avec les purs que jusqu’à la première étape : la socialisation des mines, des chemins de fer et de la Banque. Ce groupe intermédiaire ne se compose d’ailleurs que d’une quarantaine de membres, tandis que la gauche radicale ou « progressiste » en compte plus du double.

Les trois ou quatre fractions qui précèdent, auxquelles on donnera demain le nom générique de gauche, ne contiennent en totalité que deux cents membres environ, c’est-à-dire un peu plus du tiers de la Chambre. Le centre ou les « républicains de gouvernement », dont les rangs grossissent chaque jour, et qui, lors de la première convocation, se trouvaient au nombre de deux cents députés, sous la présidence de M. Raynal, formeront la base de la majorité nouvelle, à laquelle tout fait prévoir que la droite, reconstituée sous la présidence du duc de Doudeauville, prêtera maintes fois son appui.

Au tournoi parlementaire ont pris part MM. Lockroy, Barthou, Goblet, Deschanel, Dupuy, etc. L’éloquence n’a manqué d’aucun côté, car le député socialiste, M. Jaurès, qui avait proféré bien des folies dans un très beau style, a aussi fait entendre à nos gouvernans d’utiles vérités, lorsqu’il a constaté par exemple, — aveu précieux dans une pareille bouche, — que le mouvement anti-social actuel provenait surtout de la décroissance de l’esprit religieux : « Vous avez définitivement arraché le peuple, a dit M. Jaurès, à la tutelle de l’Église et du dogme. Vous avez rompu certains liens de routine qui subsistaient encore. Qu’avez-vous fait par là ? Ce n’étaient que des habitudes, soit ; mais ces habitudes étaient pour quelques-uns une consolation et un calmant. Eh bien ! vous, vous avez interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine ; et la misère humaine s’est réveillée avec des cris ; elle s’est dressée devant vous, et vous a demandé sa place, sa large place au soleil. »

C’est à peu de chose près ce que disait il y a quelque vingt ans le P. Félix, dans la chaire de Notre-Dame, et combien a-t-il été bon prophète ! La résignation en bas, la charité en haut, la foi, c’est-à-dire l’espérance d’un au-delà chez tous, il n’est ni grève, ni syndicat, ni société coopérative qui vaille autant et puisse faire plus pour la paix sociale. Seulement, à présent qu’on a détruit l’ancien état de choses, il ne sera pas facile de le remplacer. On a travaillé à supprimer ou à affaiblir ce rayonnement religieux qui absorbait une part de l’énergie populaire ; l’ardeur du désir, concentrée sur les biens terrestres, a eu pour naturelle conséquence le développement de l’esprit révolutionnaire dans les masses qui ne possèdent pas ces biens.

Les orateurs du centre ont eu beau nombrer les millions de paysans propriétaires, les milliards accumulés par les ouvriers dans les caisses d’épargne, et les progrès du bien-être dans l’ensemble de la nation, ce