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En dehors du trafic avec les régions de l’Extrême-Orient, où l’endémie cholérique est partout installée, il se formera un courant d’émigration qui donnera lieu à un renouvellement incessant du personnel. Or, ces nouveaux venus sont habituellement l’aliment qui entretient les foyers épidémiques. Cette situation complexe ne peut-elle faire craindre que le choléra ne vienne à s’établir à l’état d’endémie sur les côtes africaines de la Mer-Rouge ? Avec un centre de reviviscence périodique comme la Mecque, placé en face de la côte africaine à quelques lieues de distance, une pareille éventualité n’a rien de chimérique.

Les mouvemens de population qui vont se produire dans la vallée du Nil vers ces régions appelées à devenir des centres très actifs de transaction auront également pour résultat de favoriser l’expansion de l’islamisme et par suite l’accroissement du pèlerinage de la Mecque. Déjà en moins de trente ans, depuis que les Hadjis ont pu utiliser les bateaux à vapeur pour aborder à Djeddah ou à Yambo, le nombre des pèlerins a sensiblement augmenté. Nous avons vu que cette année a été considérable. Il faut bien avouer d’ailleurs que la spéculation prête ici un puissant appui à la foi.

Quoi qu’il en soit, l’Afrique n’entre encore que pour bien peu dans cet accroissement ; mais lorsque des services rapides, à bon marché, par la navigation à vapeur ou par la voie ferrée, mettront l’intérieur du Soudan et l’Egypte en communication directe avec les ports de la Mer-Rouge, on ne peut prévoir à quel chiffre s’élèvera le nombre des Hadjis. Le danger ira successivement en se précisant. Kosseïr[1] à ce point de vue est surtout dangereux ; Bérénice est moins fréquenté ; Massaouah et Souakim offrent à peu près le même péril.

Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, l’Europe a pu se désintéresser de l’introduction du choléra au Soudan par les pèlerins revenant de la Mecque. L’Egypte en effet était absolument préservée, du côté du sud de la vallée du Nil, par la nature des lieux, la distance, le désert, l’absence de moyens de communication. Mais déjà aujourd’hui il n’en est plus de même. Une fois le chemin de fer terminé jusqu’à Kosseïr, des pèlerins s’embarquant à Djeddab pour rentrer au Maroc, en Algérie, en Tunisie ou en Turquie par exemple, pourront trois jours après prendre le paquebot à Alexandrie.

Je ne crois pas nécessaire d’insister davantage pour montrer la gravité du danger qui menace l’Europe à la suite des transformations multiples qui s’accomplissent dans cette partie de

  1. En 1893 sept sambouks ont transporté directement des lieux saints à Kosseïr 675 pèlerins.