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une région beaucoup plus pauvre et moins peuplée, mais étendue, où se trouvent quelques rares centres de population. Makhin, Khanigaram, Moussa-Kheil ; cette région complète le bassin hydrographique de l’Indus. La Russie recevrait Hérat et beaucoup de villes d’une certaine importance : Balkh, l’ancienne Bactres, Mazar-i-Chérif, où sont des tombeaux qui attestent une ancienne splendeur, bien qu’on ne sache pas au juste sous quel nom cette ville a été illustre dans l’antiquité, Koundouz, Khanabad, Faïsabad, ainsi qu’Andkhoï et Aktcha, deux oasis importantes, presque rivales de celle de Merv, situées dans le sud des même déserts où se trouve cette ancienne capitale, laquelle, comme on le sait, est déjà depuis une dizaine d’années tombée au pouvoir de la Russie.

Il restera à partager le surplus de l’Afghanistan, c’est-à-dire la moitié de la surface et de la population du royaume. Cette partie difficile à partager forme un carré moitié plus petit que le carré primitif et occupe l’angle sud-ouest de celui-ci. À qui doit-il revenir ? Les Anglais désireraient vivement s’en emparer et cachent à peine leur intention. Après les deux expéditions d’Afghanistan dont la dernière, celle du général Roberts, en 1878 et 1879, les avait rendus maîtres d’imposer leur volonté au pays, les Anglais avaient fait preuve d’un étonnant désintéressement en n’annexant à l’Inde que des territoires peu étendus et en laissant à l’Afghanistan une indépendance presque absolue en apparence.

Nous avons déjà indiqué quels avaient été les avantages de cette politique modérée : ralentir l’action des Russes et d’autre part laisser aux Afghans le temps d’acquérir des droits sur divers territoires constituant jusque-là des principautés indépendantes.

Cependant la construction du chemin de fer de Candahar et l’annexion de l’enclave de Kettah avaient été, au cours de ces dernières années, un acheminement, mais lent et très déguisé, vers une action plus énergique. Cette action s’est dessinée depuis un an par les opérations du général Lockhart dans le Kafiristan et le Khondjout, puis, d’une façon plus considérable et plus inattendue, il y a trois mois à peine, par la déposition du khan de Kélat, accusé, dit-on, d’intrigues avec la Russie, et par l’annexion radicale du Mekran, c’est-à-dire de toute la partie encore indépendante du pays qui figure sur les cartes françaises sous le nom de Beloutchistan. Il ne paraît pas douteux que la mission dont est chargé, auprès de l’émir d’Afghanistan, sir H. Mortimer Durand, n’entraîne la sanction définitive de cette politique énergique, dont on s’est trop peu occupé en Europe, et qu’elle n’amène l’établissement d’un protectorat plus ou moins avoué de l’Angleterre sur tout l’Afghanistan.