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aussitôt après la reconnaissance de Groumbtchevsky, une démonstration militaire sur le Pamir fut décidée, et au commencement de l’été 1891, les armes russes se montraient de nouveau sur le Toit du Monde. Une colonne de 500 hommes, choisis avec soin dans l’élite d’un grand nombre de corps du Turkestan, sous le fallacieux prétexte d’aller faire au Pamir, d’une façon collective, les exercices de sport et de chasse que faisaient jusque-là, dans des localités diverses et par petits groupes séparés, les meilleurs tireurs de chaque bataillon, balayait facilement le Pamir, sous les ordres du colonel Yonoff, de tous les avant-postes afghans. Cette opération fut continuée par un voyage que fit dans les mêmes parages, au cours du même été, le général Wrewsky, gouverneur général du Turkestan. Ce voyage officiel vient de se renouveler en 1893, après deux nouvelles campagnes du colonel Yonoff, exécutées l’une en 1892, l’autre cette année même. Les démonstrations russes s’étendirent, dès la campagne de 1891 jusqu’à la grande arête transversale formée par l’Hindou-Kouch et le Karakoroum, sans la dépasser pourtant. Une fois cette arête franchie, la frontière de l’Inde eût été ouverte, et sa sécurité future contre les invasions possibles eut été compromise.

Aussi, à son tour, l’Angleterre, au mois d’août 1892, entrait elle-même franchement en scène, cessant de se dissimuler derrière l’Afghanistan et le Kachmir. De 1880 à 1892, son système avait consisté à pousser en avant, vers le nord, ces deux États, l’un son vassal direct, et l’autre soumis en fait à son influence. La politique anglaise s’était attachée à faire disparaître ainsi peu à peu les nombreuses petites nationalités indépendantes qui, isolées par des chaînes de montagnes infranchissables, les plus hautes du globe, avaient gardé leur autonomie au fond des diverses vallées, enchevêtrées les unes dans les autres, d’où les eaux, par des défilés étroits et capricieux s’échappent vers l’Indus, l’Oxus ou le Tarim, c’est-à-dire vers la mer des Indes, la mer d’Aral ou le grand lac Lob-Nor ; elle avait cherché à remplacer ces petits États montagnards par deux grands États vassaux de l’Inde, le Kachmir et l’Afghanistan. Le souverain du premier n’était qu’un enfant en bas âge tenu en tutelle par un officier anglais. Quant au souverain du second pays, vaincu et réduit à merci par la guerre de 1878-79, c’était l’émir Abd-ur-Rahman-Khan, presque aussi hostile au joug étranger que son prédécesseur, Dost-Mohammed, dont les agissemens avaient motivé la dernière campagne des Anglais en Afghanistan ; mais leur devant son investiture, et ayant éprouvé leur puissance, il n’osait afficher trop haut ses velléités d’indépendance.